Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/634

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ancêtre n’avait rien d’un fanatique. L’histoire a conservé les paroles qu’il prononça en quittant la patrie anglaise : — « Nous ne dirons pas avec les séparatistes : « Adieu Rome ! Adieu Babylone ! » Nous dirons. « Adieu, chère Angleterre, adieu église chrétienne d’Angleterre, adieu à tous les amis chrétiens que nous laissons derrière nous ! »

Mais le ministre puritain devait pourtant se piquer d’un peu plus de dogmatisme que son petit-fils, auteur de l’essai sur la Sympathie des religions, où nous voyons celui-ci admettre sans conteste toutes les formes de « la magnifique liturgie de la race humaine. » Le seul péché impardonnable aux yeux de Thomas Higginson serait l’exclusivisme. Son étal d’esprit n’était pas d’ailleurs pour étonner le doyen de la faculté de théologie de Harvard, le révérend Palfrey, qui résumait sa classe à cette époque, en trois mots : mystiques, sceptiques et dyspeptiques, ce qui veut dire que tous les étudians étaient lancés plus ou moins sur les flots de la pensée libérale, celle de Parker et d’Emerson, si prompte à engloutir les jalons du passé. Du moins Higginson ne fut-il jamais parmi les dyspeptiques, son extrême sobriété l’en préservait. Il avait fait vœu de pauvreté, vivant de pain et de laitage pour pouvoir acheter plus de livres. Mais ces livres quels étaient-ils ? Fourier entre autres, Auguste Comte, la Vie de Jésus par Strauss. On ne peut s’étonner que les plus libéraux parmi les unitariens aient trouvé leur pasteur quelque peu suspect d’hérésie. Il était en tout aussi hostile à l’ordre établi des choses que pouvait l’être le radical Thoreau lui-même, et en complet désaccord avec la majeure partie du clergé qui refusait de se mêler au mouvement anti-esclavagiste.


III

Ce mouvement avait été organisé par Garrison, un homme de fer, à la logique et à la force morale duquel le président Lincoln faisait remonter avant tout l’honneur de la révolution accomplie et à qui pense Emerson lorsqu’il dit : — « Quelle forêt de lauriers devons-nous apporter avec les larmes de l’humanité tout entière, à ceux qui tinrent ferme contre l’opinion de leurs contemporains ! » En effet, pour le journaliste-orateur Garrison, pour l’éloquent avocat Wendell Philips, pour d’autres pionniers qui sacrifièrent avec eux leur fortune et leur position