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Nous avons connu dans le Cantonnais un bon Père français, le plus dévoué des prêtres, mort depuis longtemps à la tâche dans cette province meurtrière où le missionnaire, nous disait-il lui-même avec un sourire d’abnégation, ne dure guère plus de sept à huit ans : il nous confessait que les conversions sincères étaient bien rares ; seulement, que les néophytes même chancelans laissaient plus tard baptiser leurs enfans, et qu’alors ceux-ci faisaient de bons chrétiens ! Ce calcul du bon Père, vraiment bien modeste et qui faisait sa consolation, était cependant encore exagéré, car, à ce compte, après trois siècles de prédication, les néophytes seraient légion en Chine, et tel n’est pas le cas. Mais, si nous enregistrons avec tant de soin cet aveu du saint prêtre en toute sa simplicité, c’est qu’il nous fournit un fait à retenir, fait qui nous permet d’entrevoir les causes pour lesquelles le christianisme progresse si lentement en Chine. Nous avons montré plus haut ce qu’est le peuple, simple, doux, industrieux, et, au-dessus de lui, la classe lettrée, qui a le monopole exclusif de la culture intellectuelle et de l’influence. Eh bien ! on peut établir comme règle à peu près absolue que les convertis appartiennent exclusivement à la classe du peuple, et que, dans l’autre classe, celle des lettrés, le converti n’existe pas. Il serait du domaine de la philosophie de montrer jusqu’à quel point un homme illettré, perpétuellement entouré d’influences contraires, — influences sentimentales, familiales et d’intérêt, — peut jamais devenir un néophyte convaincu ; en tout cas, il est permis de conclure qu’il ne peut jamais être qu’un bien pauvre agent de transmission ou d’inoculation quand il s’agit, comme c’est le cas, d’une doctrine étrangère. C’est là le fait capital qui explique le retard du progrès évangélique en Chine.

Mais pourquoi le lettré ne se convertit-il pas ? C’est qu’étant fort intelligent et très cultivé, il pense, il observe, il analyse comme nous le ferions nous-mêmes et qu’il trouve dès le début deux choses qui l’arrêtent et qui l’empêchent de continuer ses recherches. Premièrement, des anomalies : à côté du catholicisme, il découvre le protestantisme, l’anglicanisme et toute la série en isme des pasteurs anglais et américains, et qu’il ne voit pas la raison pour laquelle il se déciderait pour l’un plutôt que pour l’autre ; et, secondement, l’intolérance : car, par exemple, dans la religion catholique, qu’il préférerait sans contredit aux autres, s’il se décidait à faire un choix, il trouve des obstacles