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une Révolution qui a labouré les âmes au plus profond de leurs croyances, de leurs espérances, de leurs attachemens. Il n’était pas besoin qu’un observateur étranger nous les découvrît ; regardons-les en face, avec la résolution de les guérir.

Liberté, Egalité, Fraternité. Le voyageur, qui lit ces mots fatidiques sur tous les murs, examine avec application comment ils se traduisent dans les mœurs publiques. Il les compare « à la devise héraldique d’une famille distinguée, qui se rapporte à quelque aventure plus ou moins authentique de son histoire, mais sans relation avec le caractère de ses membres actuels. » Sur le propos de la liberté, on devine sans peine l’opinion d’un Anglais : ce lui est un perpétuel sujet d’admiration que des gens aient sans cesse à la bouche le nom d’une idole pour laquelle ils se font tuer, et dont ils n’eurent en aucun temps ni le sens, ni le goût. — « La liberté, pour les Français, est plutôt un dogme à définir ou un article de foi à proclamer qu’un facteur usuel de la vie quotidienne. Ainsi s’explique la fiction d’après laquelle la Révolution a été l’ère de la liberté, alors que c’est le contraire qui est vrai… Les Français, opinions religieuses ou politiques à part, ne sont disposés à se passionner que pour ce qui peut gêner la liberté des autres… Au point de vue anglais, l’accroissement de libertés que la République a accordé aux Français, par rapport à celles dont ils jouissaient sous le second Empire, est presque négligeable… Le libéralisme n’a jeté aucune racine dans la démocratie… Sous le régime parlementaire de la troisième République, l’influence morale ainsi que la force politique des libéraux s’est évanouie ; ils jouent un rôle beaucoup moins important que sous le second Empire. »

Pour justifier la compassion profonde que lui inspirent ces républicains si étroitement rênés, le sujet britannique invoque les faits quotidiens qui susciteraient une révolution en Angleterre : violations de domicile, perquisitions dans les papiers, longue détention préventive, instruction secrète, vexations administratives, entraves au droit d’association, à la liberté de l’enseignement. L’intolérance religieuse, ou antireligieuse, lui paraît être le principal obstacle à l’établissement d’un régime libéral. Il pense, que si les cléricaux étaient au pouvoir, ils auraient la main aussi lourde que l’ont aujourd’hui les anticléricaux. Ceux-ci triomphent et traitent leurs contradicteurs en ilotes. M. Bodley dépeint la terreur morale qui pèse sur les fonctionnaires en