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beaucoup d’activité et de vigueur, lançant contre la femme les accusations les plus propres à porter le trouble dans la conscience de son mari. La fatalité s’est mise de la partie : elle a travaillé contre la reine Draga avec plus de violence encore que ses pires ennemis. Ceux-ci disaient dès le premier jour que la malheureuse ne serait jamais mère et ne donnerait pas d’héritier à la dynastie. Sa grossesse, promptement annoncée, semblait démentir ces affirmations inspirées par la haine. Tout s’annonçait bien. L’empereur Nicolas avait accepté d’être le parrain de l’enfant, si c’était un garçon. On a découvert tout d’un coup que la grossesse de la reine était une illusion qu’elle s’était faite, et qu’elle avait communiquée à son entourage : ses ennemis ont déclaré aussitôt que c’était une feinte, et qui devait se terminer par une supposition d’enfant. Il y a eu déjà bien des scandales autour du trône de Serbie, mais ce dernier aurait dépassé tous les autres. Le roi Alexandre a fait preuve de beaucoup de sang-froid ; il a entouré la reine de sa confiance et de son affection. L’empereur de Russie a continué de conformer sa politique aux sentimens exprimés par le jeune roi. La révolution de palais qu’on avait pu craindre à Belgrade ne s’est pas produite, et l’amitié de la Russie s’est manifestée avec une constance inébranlable. Au milieu de ces dures épreuves, les plus pénibles que le couple serbe pouvait traverser, l’empereur Nicolas s’est montré attentif et bon, et les liens qui s’étaient formés entre les deux pays n’ont pu qu’en être plus étroitement resserrés.

Les événemens de la vie privée, surtout lorsqu’il s’agit de personnes royales, peuvent, comme on le voit, influer beaucoup sur la vie publique. Leurs conséquences s’étendent même souvent bien au delà des limites d’une cour. Parmi les petits royaumes et principautés des Balkans, il en est deux qui, depuis qu’ils existent, ont attiré plus particulièrement l’attention de l’Autriche et de la Russie : ce sont la Serbie et la Bulgarie. L’Autriche et la Russie se sont toujours efforcées d’étendre leur influence au moins sur l’un des deux, et de le maintenir dans leur orbite politique. On peut presque dire que la situation est normale dans les Balkans lorsque la Serbie se rattache à la Russie et la Bulgarie à l’Autriche, à moins que ce ne soit le contraire ; mais, lorsque la Serbie et la Bulgarie se rattachent en même temps à un seul des deux grands empires, l’autre se trouve dans une situation d’infériorité dont il souffre, et qui l’amène quelquefois à se plaindre tout haut, comme l’Autriche vient précisément de le faire par la bouche un peu amère du comte Goluchowski. S’il y a un équilibre européen, il y a aussi un équilibre balkanique, et on peut croire