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REVUE DES DEUX MONDES.

Je profite du calme pour aller jusqu’à la légation d’Angleterre ; le ministre de France me demande s’il n’est pas possible d’y envoyer 10 hommes. Je lui expose qu’il y a déjà 10 Français sur la muraille et 5 au Fou, et qu’il ne resterait alors que 17 marins à la légation de France. Je m’étonne que ces renforts soient demandés à nous, alors que les Russes, par exemple, beaucoup plus nombreux, ne sont certainement pas plus attaqués que les Français. À peine suis-je de retour, que je reçois l’ordre écrit d’envoyer les 10 hommes. Je réponds que cela m’est absolument impossible.

La canonnade recommence l’après-midi ; une vingtaine d’obus passent au-dessus de notre légation, rasant les toits.

À deux heures, nous enterrons Quémeneur : M. Pichon et M. Berteaux assistent à la cérémonie. Nous n’avons pas de cercueil et le temps nous manque pour en faire ; les cadavres sont recouverts de chaux. Notre cimetière est dans un coin du parc, près d’une grotte artificielle faite de blocs de pierre jetés les uns sur les autres ; là dorment déjà quatre de nos camarades, dont deux dans la même fosse. Ceux-ci resteront unis après leur mort comme ils l’ont été pendant ce siège : Autrichiens et Français s’entendent en effet admirablement, et rivalisent de courage et de zèle.

La deuxième barricade, parallèle à la première, et destinée à nous abriter des coups venant de l’ouest, n’est pas achevée ; c’est très regrettable.

L’attaque est de plus en plus sérieuse, surtout du côté de l’Italie ; ce qui est surtout énervant, c’est de rester perpétuellement en face de ce gigantesque point d’interrogation : l’ennemi va-t-il se décider enfin à s’avancer sur nous ? Nos adversaires sont extrêmement nombreux, et à cinquante mètres à peine ; s’ils voulaient enlever notre misérable barrière de caisses et de sacs de terre, la lutte serait terminée tout de suite, à leur avantage. Comment peuvent-ils hésiter ?

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2 juillet. — La pluie continue, aussi les coups sont-ils rares. La religion défend, dit-on, à ces fils du Ciel d’assister à un phénomène qu’ils considèrent comme un accouplement de leur père et de la Terre. Cette raison, jointe à la peur d’être mouillés, fait que nous jouissons d’un peu de repos dont nos matelots ne se plaignent pas. Quelques balles arrivent encore sur les sacs qui garnissent nos fenêtres ; Geffroy est légèrement blessé.