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LA DÉFENSE DE LA LÉGATION DE FRANCE.

bien qu’ils ne visent pas, qu’un des innombrables projectiles qu’ils jettent sur nous blesse l’imprudent qui se découvrira. Je parcours la ligne en recommandant pour la millième fois d’observer, tout en restant bien abrité. Notre but n’est pas de vaincre les Chinois, la lutte serait trop inégale, mais de ne pas nous faire tuer par eux ; il nous faut surtout, à tout prix, gagner du temps ; car nous ne voulons pas croire encore que l’Europe nous a définitivement abandonnés. Laissons donc nos adversaires jeter leurs munitions, et gardons les nôtres pour d’excellentes occasions.

J’ai d’ailleurs, pour faire observer ces recommandations, des auxiliaires précieux dans quelques-uns des volontaires qui sont venus si courageusement nous offrir leurs services. Je ne saurais trop insister, en particulier, sur le remarquable sang-froid, le calme extraordinaire que savent conserver, en toutes circonstances, Picard-Destelan, Bartholin et Véroudart. Mais, que l’on me comprenne bien : je serais désolé que l’on donnât à la distinction que je fais en faveur de ces trois volontaires une portée que je n’ai point voulu lui donner ; les autres ne sont ni moins braves, ni moins utiles qu’eux, mais plus entreprenans, plus emballés (ils me pardonneront le mot) ; je crains toujours de les voir aller trop « de l’avant. »

Jusqu’à présent, nous n’avions eu devant nous que des troupes de Tong-Fou-Siang ; mais aujourd’hui nous avons reconnu parmi nos ennemis les casaques des soldats de Jong-Lou, de ceux que l’on voulait nous donner pour nous servir d’escorte jusqu’à Tien-tsin.

L’enterrement du commandant Thomann a lieu à deux heures, à peu près dans les mêmes conditions que celui de notre pauvre ami Herber ; c’est-à-dire en profitant d’un calme qui ne laisse pas que de nous inquiéter. Nous sommes même tellement persuadés que les Chinois préparent une nouvelle attaque que nous avançons l’heure de la cérémonie primitivement fixée à trois heures. Tous ceux qui ne sont pas absolument indispensables aux meurtrières ou aux barricades viennent dire un dernier adieu à celui qu’ils adoraient, autant pour sa grande bonté, sa douceur, son amabilité, que pour son courage et son héroïque conduite. Lui, qui parlait admirablement le français, il avait toujours un mot affectueux pour nos matelots ; aussi avait-il gagné tout de suite les sympathies de ces grands enfans.