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paquets à l’encontre des radicaux. Ainsi fit-il, pendant trois années, jusqu’à ce que survînt soudainement une dépêche de Lang-son : l’échec national, une fois de plus, fut la préface d’une manifestation « républicaine, » pour laquelle le concours de la droite fut accepté : Ferry fut expulsé du pouvoir, et même de la République. Le vieil esprit s’était ressaisi ; la tradition humanitaire, ennemie de toute politique coloniale, était vengée.

Elle s’épanouissait dès 1867, cette tradition toujours vivante, dans une lettre qu’adressait à Macé, à l’occasion du premier congrès genevois de la Paix et de la Liberté, le docteur Guépin, de Nantes, vénérable en sa loge à la veille du 4 septembre, et préfet de la Loire-Inférieure le lendemain. Il se proposait, s’il allait à Genève, de soutenir que « l’Angleterre, la France, la Hollande, l’Espagne, le Portugal ont intérêt à faire de leurs colonies des colonies européennes ; » et il s’attendrissait en expliquant à Macé que « cet abandon des colonies au profit de l’Europe entière aurait grande valeur aux yeux des Suisses, des Italiens, des Grecs, des Bavarois, des Prussiens, des Autrichiens et des Roumains. » L’âme européenne de Guépin n’était point une exception dans son parti. L’orthodoxie des gauches commençait à détester, dans les colonies, un double affront à l’humanitarisme, un prétexte à difficultés entre les nations de l’Europe, une source de discordes entre l’Européen colonisateur et l’Asiatique ou l’Africain subitement importunés ; et les guerres coloniales, qui ressemblaient fort à des guerres offensives, étaient réputées, par là même, incompatibles avec l’esprit républicain.

« L’Etat a-t-il le droit d’envoyer nos jeunes gens mourir au Sénégal ou en Cochinchine pour y tracasser des gens qui ne nous connaissent même pas ? » Ainsi parlait en 1875 un marin breton, que les « Bleus de Bretagne, » ces tirailleurs de la défense républicaine, devaient plus tard mettre à leur tête. Il ne faisait qu’exprimer, en cette troublante question, les susceptibilités de ses amis politiques, qui commençaient à s’insurger. L’insurrection, moins de dix ans après, était nettement avouée : lorsque, en 1884, une majorité plus craintive que croyante soutenait de son vote l’expédition du Tonkin, M. Jules Gaillard, député radical de Vaucluse et membre influent de la Ligue de la Paix et de la Liberté, constatait avec tristesse ce qui lui semblait à juste titre une nouveauté. « Le parti républicain » disait-il, est devenu belliqueux aujourd’hui, grâce aux inspirations d’un patriotisme