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deux ouvrages qui ont fait nos délices pendant bien longtemps ; dès lors, à huit ans je commençai à composer des romans et des comédies. « Elle composait des comédies et elle en jouait. On lui confectionna un habit d’Amour couleur de rose. « J’avais de petites bottines couleur de paille et argent, mes longs cheveux abattus et des ailes bleues... On trouva que l’habit d’Amour m’allait si bien qu’on me le lit porter d’habitude ; on m’en fit faire plusieurs. J’avais mon habit d’Amour pour les jours ouvriers et mon habit d’Amour des dimanches. » Quand elle le quitta, ce fut pour endosser un charmant habit d’homme. Nous la voyons encore en habit de bergère ou en habit d’Espagnole, mais jamais dans l’habit qui eût convenu à Félicité Ducrest, fille de parens ruinés. De là ce goût qu’elle gardera toujours pour les travestissemens et en général pour tout ce qui est factice, arrangé, concerté, artificiel. Quand cette jolie femme de vingt-neuf ans, dans la destinée de qui il était que tout fût faux jusqu’au titre de ses fonctions, devient le « gouverneur » des enfans du duc d’Orléans, elle ne manque pas d’appeler à son aide le théâtre comme moyen d’éducation. Elle s’applaudit d’une invention dont elle s’avise pour enseigner la géographie à ses élèves : c’est de leur faire mettre en action et jouer dans le jardin de Saint-Leu les voyages célèbres. « La belle rivière du parc nous figurait la mer, une suite de jolis bateaux formait nos flottes ; nous avions un magasin de costumes. » Le costume, toujours ! On avait en outre un petit théâtre portatif où on exécutait les tableaux historiques, un théâtre de grandeur naturelle où on joua toutes les pièces du Théâtre d’éducation de Mme de Genlis, et aussi des pantomimes, entre autres Psyché persécutée par Vénus, ce qui était vraiment un sujet de pantomime bien choisi pour être joué par des enfans.

Mais Mme de Genlis est très intelligente, d’esprit curieux et inventif. Elle a beau s’être brouillée avec Rousseau, détester sa personne et quelques-unes de ses théories, elle subit profondément son influence ; elle est pénétrée des idées de ces philosophes qu’elle maltraite la plume à la main, très ouverte aux nouveautés de son temps, telles que l’anglomanie, le goût des sciences, et celui des exercices physiques. Aussi trouverions-nous déjà dans son système quelques-unes des recettes dont la pédagogie moderne a fait le plus de bruit. D’abord la leçon de choses. « A Paris toutes nos promenades étaient instructives ; nous ne sortions que pour aller voir des cabinets de tableaux, d’histoire naturelle, de physique et de curiosités, ou des manufactures dont nous avions lu le détail auparavant dans l’Encyclopédie. » La