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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/949

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un exemple de la façon dont un homme noble et sage sait garder, jusqu’au milieu des tempêtes qui menacent la raison, son égalité d’âme et sa paix intérieure ! »


Tel est, en résumé, le portrait de Kant que nous offrent ses lettres. Mais l’intérêt de ces lettres se trouve, pour nous, considérablement accru par la façon dont vient de les publier M. Rodolphe Reicke. Non content, en effet, d’en restituer le texte original avec l’exactitude la plus scrupuleuse, cet érudit a eu l’ingénieuse idée d’y joindre, de page en page, tout ce qu’il a pu retrouver des lettres adressées à Kant. Et, ainsi, non seulement les lettres du philosophe lui-même s’éclairent pour nous d’un jour nouveau, qui nous les lait apparaître avec leur véritable signification : nous assistons aussi, autour d’elles, à une foule de ces petites comédies que sont toujours, plus ou moins, les relations humaines, quand on les voit au vif.

Malheureusement, ces comédies sont, ici, d’un ordre sévère, comme on pouvait s’y attendre dans des relations entre professeurs. Avec l’épisode des lettres de Marie de Herbert, je ne vois guère à citer d’un peu divertissant qu’une lettre écrite en français à Kant par un certain Kaulke, et une autre lettre, — bien allemande, celle-là, — où un médecin d’Elberfeld interroge en ces termes le vénérable auteur de la Critique de la Raison pratique :


Cher monsieur le professeur,

La foi de la Raison de M. Kant est une foi pure de toute espérance.

La morale de M. Kant est une morale pure de tout amour.

Et maintenant se posent deux questions : 1° En quoi la foi du diable diffère-t-elle de la foi de M. Kant ? 2° En quoi la morale du diable diffère-t-elle de la morale de M. Kant ?

Elberfeld, le 26 décembre 1793.

J. COLLENBUSCH, med. dr.


Quant à la lettre de Kaulke, datée du 18 janvier 1766, l’auteur explique que, s’il l’a écrite « à la langue française, » c’est parce qu’il voulait y parler de Rousseau, — qui d’ailleurs, soit dit en passant, paraît avoir exercé une influence énorme sur le développement des idées de Kant. Et voici comment Kaulke parle à Kant de Rousseau : « Voyez, estimable ami, quel sort M. Rousseau essuie ! Qu’il est à plaindre, mais au contraire que ses méchans ennemis sont à condamner d’avoir entamé de telles noires trahisons, qu’ils sont blâmables et