Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

antiques, les reçoivent. Les colonnes trempent directement dans le cristal ; leur ordre élégant et sobre s’y reflète comme en un miroir.

Tout en haut de la colline, s’élève la Tour Magne. Monument énigmatique : peut-être quelque énorme mausolée. Il domine la ville et dresse sa masse à demi écroulée au-dessus de la plaine unie. Au moyen âge, de grands feux s’allumaient à son faîte et flambaient dans la nuit, comme si l’âme des morts, honorée et apaisée, continuait à brûler, dans les heures sombres, pour la conduite et le salut des vivans.

Mais, parmi tant de morceaux précieux, rien n’égale la « Maison Carrée. »

Sa vue soudaine ravit. C’est un charme qui ne pourrait guère se comparer qu’à la première rencontre d’une femme que l’on va aimer : une sorte de conquête indéfinissable dont le saisissement donne le frisson. Le monument est petit. Le toit n’est pas à treize mètres au-dessus du sol. Autrefois, il est vrai, quelques marches le surélevaient. On peut s’imaginer combien sa grâce gagnait encore à ce svelte rehaussement. L’édifice naissait sur la place d’un mouvement naturel et harmonieux : tel un bijou sur son écrin. Les colonnes du péristyle parmi lesquelles l’air circule sont, en vérité, tout le monument. La lumière et l’ombre prises dans ce réseau s’y arrêtent et s’y reposent, répandant, tout autour, le calme et la sérénité. C’est une demeure pour l’esprit ; inutilisable, sauf pour le service de la divinité. Mais tout y est digne d’un Dieu. Un souffle ailé circule sous les portiques et anime les frontons. Les chapiteaux des colonnes, les entablemens, la frise qui court, paisible et pareille à elle-même, autour du monument, tous les détails sont d’une perfection achevée. Le sculpteur fut digne de l’architecte et son ciseau a posé une couronne exquise au front sévère du quadrilatère blanc.

Je suis entré. L’intérieur n’est rien qu’une salle petite et très simple : des murs droits et sans ornemens. La lumière du ciel tombe d’une ouverture ménagée dans le toit. Entre les quatre murs peints en rouge, on a réuni des débris de marbres antiques, des fragmens de colonnes et de statues, une collection de monnaies : c’est un musée d’antiquités installé, comme il convient, dans cette noble ruine.

L’heure étant matinale, il n’y avait encore qu’un seul visiteur. Le gardien du monument l’accompagnait, lui donnant quelques explications que l’autre écoutait, tout en marchant. C’était