Ces incidens n’étaient pas encore arrivés à leur terme lorsque le gouvernement marocain a décidé d’envoyer une mission en Europe. Où devait-elle se rendre ? À Londres, a-t-on dit d’abord, et à Berlin. Assurément le gouvernement marocain a le droit d’envoyer une mission où il lui convient ; mais nous avons aussi celui de nous demander quel en est l’objet, et son itinéraire, le but où elle tend, les portes où elle frappe sont autant d’indices qui peuvent nous éclairer. Il ne nous déplaît d’ailleurs nullement qu’une mission du Maghzen aille à Londres et à Berlin, car nous sommes certains qu’ici et là on ne lui donnera que de sages avis. Sans parler de nos bonnes relations avec l’Angleterre et l’Allemagne, l’intérêt même de leurs gouvernemens, qui ne désirent certainement pas que des provocations maladroites nous obligent à sortir de notre attitude de réserve au Maroc, leur conseille de ne laisser concevoir aux envoyés du sultan aucune illusion dangereuse. Néanmoins, il y avait lieu d’être frappé de l’omission de Paris au nombre des étapes de la mission marocaine, et nous ne pouvions l’être que d’une manière fâcheuse. Il y avait là un air d’intrigue, peu fait sans doute pour nous inquiéter, mais peu fait aussi pour nous plaire. Le gouvernement marocain s’en est spontanément rendu compte. Il a modifié le programme de la première mission en décidant qu’après Londres et Berlin, elle irait à Saint-Pétersbourg, ce dont on ne peut que la féliciter, car son enquête sera ainsi plus complète : de plus, il a annoncé qu’une seconde mission viendrait spécialement et uniquement à Paris. Le fait qu’elle aura à sa tête le ministre des Affaires étrangères du sultan montre bien l’importance que celui-ci y attache, et détermine celle que nous devons y attacher nous-mêmes. M. Révoil, qui vient prendre les instructions du gouvernement avant de rejoindre son poste d’Alger, fait en ce moment route pour Paris avec la mission marocaine. Les choses ne pouvaient s’arranger mieux. Et nous espérons bien, autant que nous le souhaitons, qu’à la suite de toutes ces démarches et de l’échange de vues auquel elles donneront lieu, il ne subsistera aucun nuage entre le Maroc et nous. À quelque chose malheur est bon, et ces derniers incidens n’auront pas du moins été sans quelques conséquences favorables.