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« Quoiqu’elle soit encore bien jeune, elle est déjà trop sérieuse. Elle est sur les affaires de l’Etat comme si elle avait quarante ans. » Elle analyse avec une grande finesse les sentimens divers qui se combattent dans le cœur de la jeune femme : « Sa tristesse est extrême, écrit-elle à la princesse des Ursins ; elle a de l’amitié pour Monsieur son père et un grand ressentiment contre lui ; elle aime tendrement Madame sa mère ; elle prend un intérêt aussi vif aux affaires d’Espagne qu’à celles de la France ; elle aime le Roi et ne peut le voir un peu plus sérieux qu’à l’ordinaire sans avoir les larmes aux yeux[1]. »

Aussi avait-elle grande pitié de cette jeune douleur. « Madame la Duchesse de Bourgogne, qui a des chagrins épouvantables, me les vient tous apporter. Elle vint, par exemple, hier, comme je me couchois, n’en pouvant plus d’excès de fatigue. Elle se jeta sur moi et me tint très longtemps à me compter ses peines. Elle a la bonté de me demander si elle ne m’incommode point ; mais, avec toute la liberté qu’elle me donne, et quoiqu’elle me prie d’en user avec elle comme avec une fille, il m’est impossible de la compter pour rien et de n’avoir pas pour elle toute sorte d’attentions[2]. » Cette jeune princesse que nous avons vue si ardente au plaisir semblait comprendre, mieux que le Roi lui-même, que le temps des fêtes était passé. « Je me souviens, de Mlle d’Aumale, que, le lendemain de l’arrivée du courrier de M. le maréchal de Villars à la Cour, on proposa à Mme la Dauphine (Duchesse de Bourgogne) de faire une partie, et qu’elle répondit avec vivacité : « et avec qui voulez-vous que je joue ? Avec des dames qui ont leurs maris et des pères qui ont peut-estre leurs enfans à la bataille. Vous n’y pensez pas, ajouta-t-elle. Puis-je être tranquille moi-même, quand il s’agit de la plus grande affaire de l’Etat ? » L’Etat ! C’était un mot bien nouveau dans la bouche de notre princesse, et, telle que nous l’avions dépeinte jusqu’à présent, on a quelque peine à se l’imaginer à ce point transformée.


IV

Jamais ces émotions diverses n’agitèrent si vivement l’âme de la Duchesse de Bourgogne que durant l’année 1706. On sait que

  1. Mme de Maintenon, d’après sa correspondance authentique, t. II. p. 106.
  2. Ibid., t. II, p. 191.