En effet, des divergences entre Vauban, qui s’offrait avec désintéressement au Roi pour diriger le siège « en mettant son bâton derrière la porte, » La Feuillade, qui commandait l’armée de Piémont, et Vendôme, qui commandait l’armée de Lombardie, firent différer le siège. Mais Victor-Amédée se trouvait ainsi prévenu, et le temps lui était laissé de mettre sa capitale en état de défense. Le siège, en effet, demeurait résolu en principe. La Duchesse de Bourgogne s’en préoccupait. Elle devait d’autant moins douter du succès que les armées françaises avaient été jusque-là victorieuses en Italie, et, dans la pensée d’épargner à son père cette extrémité, elle s’efforçait de l’amener à un accommodement. N’osant s’adresser directement à lui, c’était à sa mère qu’elle s’adressait, dans une lettre peu comme et trop honorable pour qu’il ne vaille pas la peine de la citer presque en entier[1].
«… J’avoue la vérité, ma très chère mère, que ce seroit le plus grand plaisir que je pourrois avoir dans cette vie si je pouvois voir revenir mon père à la raison. Je ne comprends point comment il ne fait point quelque acomodement, sur tout dans la malheureuse situation où il se trouve et sans aucune esperence de pouvoir estre secouru. Veut-il encore se laisser prendre Turin ? Le bruit cour icy que l’on ne sera pas longtemps sans en faire le siège. Jugé, ma très chère mère, sensible comme je la suis, sur tout ce qui vous regarde, de lestat où je dois estre. Je suis au déssespoir de lestat ou se réduit mon père par sa faute. Est-il posible qu’il croi que nous ne lui fissions pas un bon acomodement ? Je vous assure que tout ce que le Roy souhaitteroit, ce seroit de voir son royaume tranquille et celluy du roy son petit-fils aussy. Il me semble que mon père devroit désirer la mesme chose pour luy, et, quand je songe qu’il en est le maître, je suis toujours estonnée que cella ne soit point. Je croy, ma très chère mère, que vous me trouvés fort estourdie de tout ce je vous mande, mais je ne puis plus me tenir pour le déssespoir où je suis de lestat ou ce trouve mon père. Malgré tout
- ↑ Cette lettre a été publiée pour la première fois par M. Combes dans les Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux, de mars 1879 (p. 53), et reproduite par M. Paolo Boselli, ancien ministre des Finances d’Italie à la page 29 d’un petit opuscule intitulé : La Duchessa di Borgogna e la battaglia di Torino. Atti delle R. Academia delle scienze di Torino, vol. XXVII. Cette lettre est sans date, au moins d’année. Mais la double allusion aux sièges de Barcelone et de Turin ne permet pas de douter qu’elle ne soit de 1706. Nous tenons à ajouter que M. Combes et M. Boselli, l’un Français, l’autre Italien, qui ont étudié la question sur les mêmes documens que nous, partagent notre opinion sur l’injustice de l’accusation.