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seul Versailles. On croit lire des faits militaires. Non, ce sont des événemens de Cour, ceux du gouvernement, féminin personnel. Les dames y sont les Parques. De leur main délicate, elles font la destinée[1]. » Or, il est constant que Marcin était à l’armée du Rhin quand il reçut l’ordre d’aller rejoindre l’armée d’Italie, et qu’il se rendit, en Piémont par la Suisse, sans passer par Versailles. La Duchesse de Bourgogne ne put donc pas le chapitrer avant son départ ; mais, quand il s’agit d’accuser quelque prince ou princesse, Michelet n’y regarde pas de si près.

La vérité, c’est que Marcin, aussi incapable que La Feuillade, ne comprit point la hardiesse et la justesse du plan du Duc d’Orléans, qui, au lieu d’attendre dans ses lignes l’attaque du prince Eugène, voulait se porter en avant et empêcher la jonction des troupes impériales avec, celles de Victor-Amédée. Les dissentimens des trois généraux, qui éclatent dans leurs dépêches, arrivèrent à un éclat public, en plein conseil de guerre, trois jours avant la bataille. Ces dissentimens firent tout le mal. Il n’en fallut pas davantage, suivant la forte expression de Saint-Simon, pour « égorger la France, » et il n’est pas besoin d’avoir recours à ces explications de trahison qui sont, suivant la juste expression d’un auteur italien, l’habituelle consolation des vaincus[2]

Si cette justification de la Duchesse de Bourgogne ne paraissait pas suffisante, nous trouverions encore la preuve de sa complète innocence dans une lettre assez longue, surtout pour elle, qu’elle adressait à son père l’année suivante. Nous croyons devoir publier en entier cette lettre peu connue. On jugera si c’est la lettre d’une complice, et si ce mélange d’assurances affectueuses, de tendres reproches et presque de supplications est bien le ton sur lequel une fille l’aurait, pris avec un père à qui elle aurait fait parvenir en secret, l’année précédente, d’utiles avis.

A Versailles, le 31 décembre 1701.

« Les assurances, mon cher père, que ma mère m’a donné de la continuation de vostre amitié mon fait un trop grand plaisir pour ne vous pas témoigner moy mesme ma reconnaissance, et

  1. Édition de 1874, t. XIV, p. 184-185.
  2. Baron Manno, L’assedio di Torino. Miscellanea di Storia ilaliana, t. XVII. Cet auteur explique également, et avec raison, l’échec des Français devant Turin par l’admirable constance et le courage incroyable des assiégés, et par les belles marches et prodigiosi concetti du prince Eugène et de Victor-Amédée.