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faire des reproches, puisque vous faites de vostre mieux pour m’arracher la couronne, et qu’ainsi vous ne me donnez guaire de marque de la tendresse que vous devriés avoir pour moi. Jusqu’à quand, mon cher père, prétendes vous persécuter vos filles en leur faisant souffrir tout ce qu’on peut imaginer ? Rien peut-il estre plus cruel que de se voir faire la guerre par un père qu’on aime ? Finisses mes malheurs, aimés un enfant qui le mérite ; il ne tient qu’à vous de me rendre la princesse du monde la plus heureuse. Me le refuserés-vous ? Aurés-vous un cœur assez dur pour cela ? Non, mon cher père, je ne puis croire une pareille chose, et j’espère que vous vous laisserés à la fin toucher par une fille qui est pénétrée de douleur de tout ce qui se passe, qui vous aime véritablement et qui souhaite vos avantages. »

A la vérité, ici le ton change, et la Reine se retrouve. Ces avantages qu’elle souhaite pour son père, c’est d’elle en partie qu’il dépend de les lui procurer. Elle lui offre la paix et se charge de lui faire donner par le roi de France et le roi d’Espagne le titre de roi de Lombardie. Elle lui demande d’entrer en négociation secrète avec elle par l’intermédiaire d’un gentilhomme romain qui lui remettra cette lettre en mains propres, et en effet il apparaît bien que la lettre fut écrite à l’insu, sinon peut-être de Philippe V, du moins de ses ministres. Marie-Louise, en un mot, offre de s’entremettre entre ; son père, son mari et son grand-père en reine accoutumée à traiter les grandes affaires. Mais la fille se retrouve dans ce post-scriptum qu’il est difficile de lire sans attendrissement :


« P.-S. — Je crois que vous ne laisserés pas que d’être étonné en songeant à vostre Louison (qui est le nom que j’ay eu longtemps) de lire une lettre comme celle-cy, mais malgré moy vous me faites devenir sérieuse. Je la suis tant par ce que je mande aujourd’huy, qu’il me semble qu’il ne m’est plus permis de vous appeler mon cher Papa. Soyez-le pourtant, et moy vostre Louison, et aimons-nous comme deux bons amis. »


Certes la lettre est irréprochable et d’une bonne Espagnole. Et cependant Marie-Louise fut, elle aussi, un instant calomniée : « Quoi ! écrivait-elle avec indignation à Tessé, est-il possible que l’on m’ait seulement soupçonnée d’avoir commerce avec mon père, de lui donner des avis et de lui passer de