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et d’expression les périls terribles d’une loi terrible quoi qu’on fît, si on n’atténuait pas ses inconvéniens par une sévère protection de la liberté du travail, qu’un des adversaires les plus acharnés de la loi, Seydoux, entraîné par un langage correspondant si bien à ses sentimens, lui donna au second tour de scrutin la voix par laquelle il l’emporta sur Jérôme David et fut nommé commissaire[1].

Dans la commission, nos premières relations furent des plus aimables, car nous étions en complète harmonie. Il disait même : « Je m’étonne de penser tant de bien d’Ollivier. » Il désirait visiblement et il espérait devenir rapporteur ; il faisait patte blanche à tous, se montrant fort médiocrement enthousiaste de la liberté des grèves. Au bout de quelques séances, il s’aperçut que décidément mon autorité l’emportait sur la sienne, et que les deux membres les plus importans de la commission, Buffet et Chevandier de Valdrôme, avec Thoinnet de la Turmelière, un de mes amis personnels, ne déguisaient pas leur intention de me nommer rapporteur. Un revirement s’opère alors en lui. Par une grâce soudaine, il devient partisan de ce système du droit commun de Jérôme David, contre lequel il venait de tonner, et il nous le propose. Le plus étonnant fut la raison qu’il donnait à l’appui : « La masse des ouvriers, disait-il, est bonne, mais il en est dix mille intraitables, orgueilleux, ignorans, ingrats ; cette loi aura les effets les plus néfastes, et je regrette qu’on fait présentée. » et, comme Buffet, d’un ton sévère, lui objectait qu’il ne comprenait pas que la conclusion d’un discours aussi menaçant fût de proposer une plus grande mollesse dans la répression, il répliqua qu’en donnant aux ouvriers une loi qu’ils aimeraient, on calmerait peut-être leurs défiances et leur colères. Le système du droit commun fut rejeté à l’unanimité moins une voix.


IV

Nous nous occupâmes alors de la rédaction de la loi. Nous ne décrétâmes pas expressément la liberté des coalitions : le mot

  1. Jérôme David a constaté le fait dans son discours, devant Simon qui ne l’a pas contesté : « J’avais pensé que l’abrogation pure et simple des art. 414, 415, 416, suffirait avec l’exercice du droit commun ; j’avais soutenu dans mon bureau cette opinion populaire, qui me séduisait par sa hardiesse et sa simplicité. Elle fut contestée même par notre honorable collègue, M. Jules Simon, qui, aujourd’hui, non seulement l’adopte après coup, mais la préconise. »