les gavots ! » Les gavots exaspérés sortirent de l’atelier, se précipitèrent sur les provocateurs et une rixe sanglante s’ensuivit. De pareils faits ne devaient-ils pas être prévenus ? Nous le pensâmes. Les interdits et les prohibitions ne sont pas des violences matérielles, ce sont des violences morales dans lesquelles sont annoncées et sous-entendues des violences effectives. L’interdit signifie : Si, malgré nos prohibitions, vous persistez à travailler, nous vous molesterons, nous vous conspuerons, nous vous mettrons eu quarantaine ; vous voulez travailler, nous vous travaillerons. — Le champ libre laissé à la violence morale, il est certain qu’on passera plus facilement à la violence matérielle.
Le châtiment des petites infractions est le meilleur moyen de prévenir les grandes. Nous prononçâmes donc une peine contre les interdits, prohibitions et amendes, toutefois en subordonnant la culpabilité à deux conditions : la première, que l’interdit serait le résultat d’un concert, car ce concert seul lui donne quelque efficacité ; un interdit purement individuel ne se conçoit pas ou ne serait qu’une fantaisie inoffensive ; la seconde, que le prononcé ait produit en fait l’entrave au libre exercice du travail et de l’industrie. La peine était de six jours à trois mois de prison et de 16 à 300 fr. d’amende ou de l’une de ces deux peines (art. 416).
Ce système était tout à fait différent de celui du Conseil d’Etat. Dès que des violences graves ou légères, matérielles ou morales se mêlaient à la coalition, d’après le projet du Conseil d’Etat, elle cessait d’être licite, devenait délictueuse, passible de poursuites. Dans notre loi, quoi qu’il advienne, la coalition continuera d’être licite : on poursuivra les faits délictueux qui s’y mêlent ; elle-même restera indemne et continuera librement son cours ; les coalisés étrangers aux délits commis ne seront inquiétés, et les coupables ne seront inculpés, que s’ils ont attenté à la liberté d’autrui, non parce qu’ils se sont concertés pour sauvegarder la leur ; le concert libéral sera respecté, seul le concert oppressif sera poursuivi.
Jules Simon, quoique ses propositions eussent été rejetées, continua à assister régulièrement à nos séances et travailla avec nous à améliorer notre rédaction. Comme on s’en étonnait : « Rien de plus naturel, dit-il, je soutiendrai mon système, mais, s’il n’est pas adopté, je voterai la loi, parce qu’elle constitue un progrès ; j’ai donc intérêt, moi aussi, à ce qu’elle soit le moins imparfaite possible. »