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(c’est en Turquie) qui ont voulu communiquer le mal à leurs femmes jeunes et belles, sans y parvenir.

Aux exemples précédens les contagionnistes en opposent de contraires.

Ils nient, en particulier, le fait que les médecins, les gardes-malades, les infirmiers, les sœurs échappent ordinairement à la contagion, Combien de fois la cruelle maladie n’a-t-elle pas frappé les sœurs de charité ou les missionnaires qui se dévouent au soin des lépreux ? Le cas du Père Damian frappé, au bout de quelques années, à l’établissement de Molokaï, en est un exemple mémorable, mais non pas isolé.

Toutes ces discussions sont donc vaines. La solution complète du problème et de ses difficultés, est tout entière dans la connaissance de l’histoire naturelle du bacille de la lèpre.

Les conditions de la vitalité du bacille lépreux paraissent très étroites. Il cesse de végéter, s’immobilise et meurt dès qu’il s’en écarte. Aussitôt qu’il est séparé du corps de son hôte, c’est-à-dire de son milieu habituel, il périt. Mort le lépreux, mort son venin. La lèpre s’éteint avec le malheureux qui la porte. C’est là une distinction capitale avec le bacille de Koch dont la vitalité et la virulence persistent au-delà de toute prévision. Il est probable que les résultats négatifs de bien des cultures et de bien des inoculations tiennent à ce que l’on a employé des cadavres de bacilles, au lieu d’organismes vivans.

Cependant y a-t-il d’autres conditions rares, où le microbe se conserverait à l’état de vie latente ? Est-il, en un mot, capable de se comporter comme le grain de blé qui peut attendre indéfiniment l’occasion de germer, comme les infusoires qui s’enkystent et les bactéries qui se résolvent en spores jusqu’au retour de temps favorables ? Cela est infiniment vraisemblable. On ne connaît pas encore cet état sporulaire, mais on est obligé de le supposer pour rendre compte de l’un des caractères les plus frappans de la lèpre, à savoir sa longue incubation. Un délai très inégal sépare, en effet, le moment où le lépreux s’est exposé à la contagion et celui où la maladie se déclare. Il suffit souvent de quelques mois, plus rarement de quelques jours : il faut quelquefois des années. Des voyageurs originaires d’une région indemne et qui ont visité un pays lépreux, de retour chez eux, ont vu la maladie se déclarer après dix, vingt et même trente années. Des faits de ce genre ne sont intelligibles que si le bacille s’est