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LE NÉRON DE M. BOÏTO[1]

Dans la riche galerie des écrivains et des artistes de l’Italie nouvelle, M. Arrigo Boïto occupe une place à part : sa biographie ne ressemble à aucune de celles des contemporains. Il est apparu, voilà près d’un quart de siècle, avec un Méphistophélès dont il avait écrit le livret et la partition : le livret est une œuvre de talent, et surtout de rare intelligence ; je crois que les connaisseurs apprécient la partition. L’ensemble fit son tour du monde avec succès. On crut à l’aurore d’un Wagner milanais, qui vaudrait les triomphes de Bayreuth à l’opéra un peu négligé des Italiens ; d’autant plus que le jeune maître annonçait un Néron, qui devait assurer sa gloire naissante. On l’attendit. Il ne vint pas. Que faisait donc M. Boïto ? Il n’écrivait plus que des livrets d’opéra, que d’autres mettaient en musique. Du rang d’un Wagner, auquel il pouvait prétendre, il retombait presque à celui d’un Métastase. Il s’effaçait modestement dans l’ombre de Verdi. Comment expliquer une telle renonciation ? L’auteur de Méphistophélès, méfiant de ses forces, abdiquait-il en faveur de celui du Trouvère, auquel il se contentait d’apporter une collaboration singulièrement précieuse, sinon très éclatante ? La part presque anonyme qui lui revenait dans des œuvres acclamées suffisait-elle à sa passion d’art, dégagée de toute égoïste ambition, sublimée en quelque sorte par le sacrifice qu’elle faisait ainsi d’elle-même ? Ou bien, tout en donnant à Verdi son Othello et son Falstaff, à Ponchielli sa Gioconda, mûrissait-il avec lenteur, sans en brusquer l’éclosion, une de ces œuvres suprêmes en lesquelles des artistes épris de perfection, patiens et difficiles, parviennent à condenser l’essence de leur génie. — fleurs merveilleuses où s’absorbe la

  1. Nerone, tragedia in V atti. Milan, Fratelli Treves, éd.