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devant lui. Il crie qu’il est innocent. Il appelle Herculée, qui fut son instrument, se jette sur lui, l’invective, le frappe, rappelle les détails du meurtre, pendant que les assistans l’applaudissent, lui jettent des fleurs qu’il repousse. C’est une scène admirable, dont l’effet ne peut manquer d’être très grand. Je regrette qu’elle se termine par une dernière apparition d’Astérie, qui vient mourir dans les bras de son monstrueux amant, entouré désormais des spectres de ses victimes, de terreurs et de malédictions.


Il est impossible de résumer, dans une brève analyse, une œuvre extrêmement mûrie et condensée, dont les moindres paroles ont un sens et qui de plus, comme nous l’avons dit, comporte, avec une partition encore inédite, une mise en scène à laquelle les descriptions du volume, quoique minutieuses et colorées, ne sauraient suppléer. Les anciens livrets d’opéras — pensez à ceux dont ont usé Bellini, Rossini, le Verdi des premières années — se composaient d’un certain nombre de situations plus ou moins extravagantes, empruntées parfois à des œuvres fameuses dont elles ne semblaient plus que la grotesque parodie ; les fils d’une action rudimentaire, le plus souvent à peine indiquée, les rattachaient tant bien que mal ; la facture des vers, affreusement négligés et bourrés de redites, rabaissaient encore cet ensemble. Wagner a changé tout cela. Mais — quelles que soient les grandes beautés qu’on admire en ses poèmes — je ne crois pas qu’aucun d’eux représente un effort littéraire aussi considérable que le Néron. M. Boïto s’est vraiment appliqué à renouveler le genre, et c’est sans doute parce qu’il entend établir que son poème existe en soi qu’il l’a publié séparé de sa partition, avant les pompes du spectacle somptueux dont il est la promesse. Dans les drames de Wagner, en effet, le texte est encore calculé pour la musique : de là, une syntaxe tourmentée, un vocabulaire désordonné, des inversions étranges, même en allemand, des ellipses obscures, des altérations, des exclamations et des onomatopées qui, à la simple lecture, étourdissent. M. Boïto, lui, se contente d’une langue très pure et très belle, qui ne diffère que par son cachet personnel de celle qu’écrivent les meilleurs poètes de son pays. D’autre part, s’il admet dans son œuvre certains élémens fantastiques, favorables à la mise en scène nécessaire à l’Opéra, il s’efforce de leur donner un sens, une raison d’être : Simon le Magicien, Astérie, Gobrias n’ont aucune ressemblance avec les génies, les sorcières et les gnomes dont l’intervention fait partir des fusées ou surgir un ballet. Ils sont irréels, c’est vrai ; ils ne sont pas insignifians. Ils représentent. Ils