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plupart de ses plus beaux discours, et de ce côté, il ne pouvait guère ajouter à sa gloire. Il songeait donc à se renouveler, et cherchait à quel genre il pourrait un jour appliquer son talent flexible pour conserver son autorité sur le public éclairé. Plus tard, quand le moment qu’il prévoyait de prendre un parti fut arrivé, quand l’éloquence lui fut tout à fait interdite et qu’il lui fallut se porter vers d’autres études, il se décida pour la philosophie ; mais auparavant il semblait pencher vers l’histoire. Il éprouvait pour elle une très vive sympathie : « Elle est, disait-il, dans un passage célèbre, la contemporaine des siècles, le flambeau de la vérité, l’âme du souvenir, la maîtresse de la vie. » Il se rendait compte aussi qu’elle convient tout à fait au génie pratique des Romains, et même il lui était facile de voir que le caractère de leur gouvernement leur faisait une nécessité de la cultiver. Personne n’a mieux prouvé que la constitution romaine n’est pas un produit de métaphysique politique, sorti d’un seul jet des conceptions d’un sage, comme celle de plusieurs cités grecques, qu’elle est l’œuvre du temps et des hommes, qu’elle s’est formée lentement d’elle-même, par la lutte de forces opposées, qui se sont accommodées l’une à l’autre, ne pouvant se détruire, et que, par conséquent, l’histoire est indispensable pour comprendre à quelle occasion et de quelle manière les élémens divers dont elle se compose sont entrés dans l’ensemble et la place qu’ils s’y sont faite. Un autre motif qui le pousse à se tourner vers l’histoire, c’est qu’il trouve que, malgré l’importance qu’elle a pour les Romains, ils y ont fort peu réussi. Il traite mal les anciens annalistes, qui ne savent pas écrire ; quant à ceux qui, comme Cadius Antipater, se sont mis plus tard à l’école des Grecs, il lui semble qu’ils les imitent mal, et il n’hésite pas à dire : « Nous n’avons pas d’histoire, abest historia a litteris nostris. » Il y avait donc là une bonne place à prendre, et naturellement, il s’est demandé quelles qualités on exige de ceux qui prétendent l’occuper, c’est-à-dire quelles sont les lois de l’histoire.

La première de toutes, c’est que l’historien soit véridique. « Il faut qu’il établisse avec soin la date des événemens qu’il raconte ; qu’il décrive les lieux qui en ont été le théâtre ; qu’il en indique les causes et les résultats ; qu’il peigne les mœurs et les caractères des personnages, surtout qu’il les juge sans passion, et qu’il dise les choses exactement comme elles se sont passées. » Une phrase courte et frappante lui suffit pour résumer ces