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ferait pas notre affaire. Nous souhaitons qu’on nous en donne le spectacle, nous voulons les voir ; or, c’est véritablement un art, le plus rare, le plus précieux peut-être de tous les arts, que de savoir leur rendre la vie ; d’où il suit qu’un historien, en même temps qu’un savant, a besoin d’être un artiste. Si c’est là ce que Cicéron a voulu dire, la loi qu’il énonce est incontestable ; elle s’applique à tous les temps, et peut-être convient-elle encore plus au nôtre qu’au sien. Jamais il n’a été plus nécessaire de dire que l’étude des documens, dans laquelle on prétend nous enfermer, est une préparation à l’histoire, mais qu’elle n’est pas l’histoire même ; qu’il faut les interpréter, les mettre en œuvre, et ne pas se contenter de les juxtaposer ; et que, pour employer une comparaison de Taine, ils ressemblent à ces échafaudages qui servent à bâtir une maison, et qu’on fait disparaître quand elle est construite.

Mais, si l’expression de Cicéron parait parfaitement juste quand on entend le mot d’orateur dans son sens le plus large, il faut avouer qu’il était très possible de la prendre à la lettre, et qu’alors, elle pouvait être pleine de dangers. La forme oratoire était à ce moment la forme littéraire par excellence ; dans la littérature impériale notamment, tout tourne à l’éloquence. Celui qui écrit, quoi qu’il écrive, se croit toujours, comme celui qui parle, en présence d’un auditoire. Il emploie, pour se faire lire, les procédés qu’enseigne le rhéteur, pour se faire écouter. Il cherche, dans sa façon d’écrire, la pompe et l’éclat ; il se préoccupe, dans sa manière de raconter, de l’effet et de la mise en scène. Il dispose habilement les détails, il les groupe, il les arrange pour rendre les récits qu’il fait plus piquans. Il peut même, à l’occasion, être tenté d’aller plus loin. Dans les écoles des rhéteurs, on avait plus de souci de plaire au public que de dire la vérité. Quand la cause semblait un peu maigre, on conseillait aux jeunes gens d’y ajouter quelques incidens agréablement imaginés, qu’on appelait des couleurs, — quelques-uns même, qui étaient plus francs, disaient des mensonges, — et celui qui savait le mieux inventer des couleurs à propos était sûr d’être applaudi de ses camarades. On le faisait d’autant plus volontiers à Home que le roman y était à peu près inconnu, et que l’imagination n’ayant pas ce genre particulier de littérature pour se satisfaire devait chercher à, se contenter ailleurs. Cette liberté qu’on se donnait n’avait peut-être pas de grands inconvéniens, tant qu’il s’agissait de personnages