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ces pensées générales qui nous semblent caractériser sa manière ; son originalité se bornerait donc à donner à ses emprunts un tour plus vif, à y jeter de temps en temps des phrases mieux construites, des mots plus brillans, ce qui est un travail d’écolier et non une œuvre d’écrivain. Quelle idée se fait-on de Tacite, et comment pouvons-nous comprendre le succès qu’ont ou ses ouvrages dès le premier jour auprès de gens qui pouvaient lire ceux qui lui avaient servi de modèles et voir combien peu il y avait ajouté ?

Encore comprendrait-on qu’il se fût mis sous la tutelle exclusive d’un de ses prédécesseurs, s’il avait éprouvé pour lui une préférence particulière ; mais nous avons vu qu’il les tenait en très médiocre estime et qu’il n’en excepte aucun de ses attaques. Faut-il voir dans sa sévérité une adroite tactique et croire que les reproches qu’il leur adresse ne servent qu’à dissimuler les emprunts qu’il leur a faits ? Ce serait un procédé bien peu digne de Tacite ; et d’ailleurs il n’avait pas besoin d’y recourir, puisqu’on prétend que cette façon de reproduire exactement les ouvrages antérieurs était acceptée de tout le monde. Remarquons enfin que ce n’est pas précisément pour leur façon d’écrire qu’il les condamne ; il en est même un, dont il dit qu’il était fort éloquent. Ce qu’il blâmait en eux c’était moins la forme que le fond ; il n’est donc pas possible qu’il ait cru devoir leur emprunter le fond même de leurs récits en se contentant d’en réparer la forme.

Laissons ces hypothèses, et, pour sortir d’embarras, adressons-nous directement à Tacite lui-même ; on vient de voir que ce qu’il y a de plus sûr est de s’en tenir à son témoignage. Or, ce témoignage est ici formel. Partout il affirme qu’il a consulté plusieurs auteurs différens (secutus plurimos auctorum — celeberrimos auctores habeo — tradunt temporis hujus auctores — sunt qui ferant ; alii perhibent, etc.), il prévoit même le cas où ces auteurs ne s’accordent pas entre eux, ce qui ne l’embarrasserait guère, s’il n’en suivait qu’un seul ; et il nous apprend comment il croit devoir se conduire en cette occasion : « Je les suis sans les nommer, dit-il, s’ils sont d’accord ; s’ils diffèrent, je rapporte les faits sous leur nom. » Cette règle n’est peut-être pas la meilleure, et de plus Tacite, quoi qu’il dise, ne s’y est pas toujours conformé ; mais elle prouve au moins qu’avant d’écrire, il en comparait plusieurs ensemble. Nous voyons même qu’il ne se contentait pas de consulter les plus célèbres ; de ceux qu’on ne