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restent des écrivains anciens. Il est inutile de les rappeler ici ; tous les lettrés les connaissent. Ce n’était pas seulement son talent de peindre de grandes scènes, c’était son goût. Il en cherchait les occasions et il était heureux de les trouver. On a remarqué, par exemple, qu’il ne paraît pas se sentir tout à fait à son aise quand il lui faut raconter quelque opération militaire, et, comme on fait mal ce qu’on ne fait pas de bon cœur, ses récits de guerre laissent quelquefois à désirer. Les gens du métier l’accusent de nous mal renseigner sur l’état des lieux, le nombre des combattans, la disposition des troupes, les phases de la lutte ; mais qu’il survienne un incident nouveau, curieux, qui prête à la description, comme à Idislavise, aux Longs-Ponts, au combat de nuit devant Crémone, aussitôt sa verve se ranime, le récit redevient vif, intéressant, coloré.

Ceux qui sont tentés de trouver qu’il y a par momens, dans ces beaux récits, un peu trop d’art, et même d’artifice, une préoccupation trop visible de l’effet, quelques excès de mise en scène, ne doivent pas oublier que Tacite fait agir et parler des gens de son pays, à qui ces grandes démonstrations sont naturelles et qui en donnent volontiers le spectacle. Nous sommes surpris, par exemple, qu’il nous montre des généraux, pour désarmer leurs soldats révoltés « se roulant à leurs pieds dans la poussière, déchirant leurs vêtemens, le visage en pleurs, la poitrine suffoquée de sanglots. » Mais ne trouve-t-on pas quelque chose de cette mimique expressive dans le tableau si sobre pourtant que Suétone fait de César, au moment où il va passer le Rubicon ? Il le représente qui, en s’adressant à la cohorte qui le suit, « ne peut s’empêcher de pleurer et de déchirer ses vêtemens. » La grande scène de Lepida, qui, pour se sauver d’une accusation capitale, se rend au théâtre pendant qu’on donnait des jeux « accompagnée de femmes du plus haut rang ; et là, invoquant avec des cris lamentables, le nom de ses ancêtres, excite une émotion si profonde que les spectateurs, fondant en larmes, chargent son accusateur d’invectives, » paraît moins extraordinaire quand on se rappelle ce qui se passait tous les jours dans les tribunaux, où les avocats, pour toucher les juges, faisaient comparaître les petits enfans en larmes, exhibaient leurs cliens en costume de deuil, couverts de poussière, et, s’ils avaient été soldats, à la péroraison, déchiraient leurs tuniques, pour montrer leurs blessures. On doit évidemment tenir compte