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Chevandier, M. Buffet, des collègues dont vous appréciez les connaissances et la bonne volonté, se sont enfermés pendant deux mois, quatre heures par jour, dans une commission, puis ont soumis leur travail à une assemblée considérable de jurisconsultes, d’administrateurs, d’hommes politiques, qui s’appelle le Conseil d’Etat ; les uns et les autres ont voulu, avec une égale bonne foi, introduire la liberté des coalitions, et ils ont été à ce point inintelligens, ignorans de la langue ordinaire et de la langue juridique, égarés par je ne sais quelle influence mystérieuse, qu’après avoir accepté pour point de départ la liberté, ils vous proposent un article qui la nie et ne diffère de l’ancienne législation qu’en ce point que, tandis que l’ancienne législation appelait le délit coalition, ils l’ont appelé plan concerté ! Telle est, serrée et ramenée à quelques termes précis, la partie palpitante, principale du débat entre nous. Tout le reste est relativement secondaire et me touche moins.

« Voyons ce qu’il en est, et pour cela j’entre dans les faits et je vous cite un exemple pratique de coalition le plus récent. Mes ouvriers typographes, d’une moralité, d’une intelligence, d’une sagesse à laquelle, dans le procès, tout le monde a rendu hommage, s’imaginent, à tort ou à raison, qu’il y a lieu de modifier des tarifs dont l’existence est déjà ancienne ; ils adressent une demande collective à leurs patrons, sans menace, sans violence, sans aucune amende, défense, interdiction, manœuvres frauduleuses, sans aucune de ces aménités qu’on nous dit être de coutume dans les ateliers. Leur demande est rejetée ; silencieusement, ils se retirent ensemble, sans troubler l’ordre public, ils rentrent chez eux ; mais, là, la justice vient les saisir et leur dit : Vous êtes coupables de coalition. Eh bien ! supposez notre loi aussi détestable que vous le voudrez ; supposez vraies toutes les critiques que vous pourrez imaginer ; je vous le demande, d’après la loi nouvelle, le fait que je viens de décrire sera-t-il permis ou sera-t-il défendu ? Voilà toute la question. (Très bien !) Si le fait que je viens de décrire est permis par la loi actuelle, vous serez obligés d’avouer qu’elle réalise un progrès énorme. » (C’est évident !)

J’établis ensuite que l’interprétation donnée par Jules Favre et Jules Simon de l’article 416 prouvait qu’ils ne le comprenaient pas ou plutôt qu’ils étaient décidés à ne pas le comprendre. Cet article ne punissait pas le concert tendant à amener la cessation