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contre la Russie et la Prusse et peut-être contre l’Autriche.

Etait-on prêt à accepter cette éventualité, se prêter à la démonstration collective ne présentait aucun inconvénient. N’était-on pas disposé à aller jusqu’à la guerre, consentir au pas qui y conduisait était une grave erreur. Il n’y avait qu’à se cramponner inébranlablement à la politique suivie depuis 1861 et, si fermement affirmée au Corps législatif par Billault : n’envoyer aucun encouragement diplomatique à l’insurrection, qui tomberait dès qu’elle ! serait certaine d’être abandonnée à elle-même, laisser Russel et Palmerston déclamer, s’en rapporter à l’humanité du Tsar et au bon vouloir de son ministre, d’autant plus disposés à accorder qu’on les en aurait moins sommés. Sans doute l’opinion publique bruyante eut été mécontente. MM. Havin et Guéroult eussent gémi, le prince Napoléon eût tempêté ; Montalembert, qui maintenant parlait le langage de Guéroult, d’Havin et du prince Napoléon, eût levé les bras au ciel, mais l’Empereur ne se fût pas porté, lui-même, en plein cœur, la première blessure inguérissable.

La Pologne, elle aussi, eût profité autant que nous de cette sagesse. Elle n’aurait pas obtenu ce que Dieu même n’a pas voulu lui rendre, l’indépendance de 1772 ; mais, devenue le foyer libre et heureux d’une vie nationale qu’elle aurait pu étendre, elle ne serait pas sur le lit d’esclavage où elle gît depuis tant d’années.

L’opinion publique est un mot bien élastique, et chacun la fait comme il l’entend, au gré de ses passions ou de ses caprices. Il était dans la démocratie elle-même plus d’un réfractaire à l’emballement polonais. Proudhon, avec sa vigueur de pensée et son courage habituels, reprenait contre la Pologne les accusations qui avaient rendu les philosophes du XVIIIe siècle insensibles à son démembrement. Il allait plus loin. Il se déclarait sans pitié pour cette « aristocratie orgueilleuse, pourrie dès le XIIe siècle, assassine de la plèbe dès le XIe et que le seul tort des puissances partageantes est de n’avoir pas traitée, en 1772 et en 1796, selon ses mérites, en la dépossédant de ses biens et en la mettant nue comme ver[1]. » Si, au lieu de flatter les ignorances de la foule, on les eût éclairées, si on eût expliqué que les Polonais avaient obtenu les libertés réclamées pour eux et qu’ils n’avaient pas voulu en faire usage ; si on eût démontré la haute valeur de la tentative de Wielopolski ; si on eût fait toucher du

  1. Quelques diplomates. tels que le baron Menard, signalèrent le péril de la politique de Drouyn de Lbuys.