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c’est-à-dire : ce qu’il faut avant tout, c’est de l’argent, de l’adresse et du patriotisme !

C’est un régal d’entendre ce vieillard parler ainsi, avec les jolies aspirations de la Toscane, des dessous mystérieux du Palio, tandis que les principaux acteurs exécutent à nos pieds un simulacre de course, au milieu des éclats de rire et des sifflets du public. Dans la place, blanche de soleil, des insectes font le tour de la piste, pareils à ces petits chevaux de plomb qu’un ressort caché fait mouvoir, dans les casinos de Vichy ou de Trouville. — Oui, pour vaincre tous les moyens sont valables. C’est le poète qu’il l’a dit : Il vincer fa sempre laudabil cosa. Il en est du Palio comme d’une forteresse. Avant de tenter l’assaut, le condottiere épuisait toutes les ressources, ruse, séduction, corruption. — Sitôt que les chevaux sont adjugés, les pronostics vont leur train. L’obscurité se dissipe avec la première épreuve. Entre chevaux médiocres, la sélection s’opère aisément ; il est rare que plus de deux ou trois chevaux conservent, après cet essai public, des chances réelles de victoire. Heureuses les contrade à qui les vrais champions sont échus. Dans leur sein les passions s’allument brusquement : l’espérance, le désir de vaincre, la crainte de voir un rival détesté l’emporter. Tout d’abord le choix du jockey s’impose ; on souhaiterait qu’il fût habile, courageux, expérimenté, doué de sang-froid et, si ce n’est pas trop exiger, incorruptible. À défaut d’une loyauté reconnue, on se contente des qualités qui font le bon cavalier. Pour s’assurer de sa fidélité, on lui promet monts et merveilles ; on le soumet, sous prétexte de petits soins, à une rigoureuse surveillance. On essaie de prévenir ou de repousser les entreprises perfides de l’ennemi ; en retour on ne néglige rien pour paralyser d’avance les moyens d’action de l’adversaire. À ce jeu, on dépense de grosses sommes, car le concours des intermédiaires est aussi indispensable que dispendieux. Les brigues, en effet, se dissimulent avec soin, bien que licites ou, du moins, justifiées par une longue pratique et la tolérance universelle. Supposons maintenant que deux contrade restent seules en présence. Deux hypothèses s’offrent à l’esprit : un des jockeys se laisse-t-il séduire, la course se réduira à une simple exhibition ; si, au contraire, la corruption a échoué, attendez-vous à une lutte palpitante dans laquelle le nerf de bœuf jouera un rôle prépondérant. Le délire de l’assistance peut atteindre alors ses limites extrêmes.