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des casaques plus commodes, les figurans s’installent sur une large estrade dressée au pied du palais public. Le groupe de ces deux cents personnages ressemble de loin à une corbeille gigantesque de fleurs tropicales.

La musique et les tambours se sont tus : au silence relatif de la foule, on sent que l’instant psychologique est proche. Quelque peu blasé sur les beautés du défilé, le public siennois se passionne, au contraire, à l’idée des péripéties de la course et des surprises que peut-être elle lui réserve.

De nouveau le canon tonne. Il est exactement sept heures moins le quart. Tout à coup, surgissent les dix concurrens, montés sans selle par les jockeys armés du nerbo en guise de cravache, la tête protégée par un casque. La foule les salue par des cris divers : on les applaudit, on les encourage, on les hue, on les menace. Ils n’en ont cure et vont se ranger sans délai, dans l’ordre marqué par le sort, al canapo[1], sous la tribune des juges. Un à un les chevaux pénètrent dans l’étroit espace compris entre les deux cordes, où leur ardeur indisciplinée causerait des incidens fâcheux, si la voie ne leur était pas promptement ouverte. Mais le mossiere, en chapeau haut de forme, les surveille ; il fait un signe, un coup de canon retentit, la corde tombe brusquement, le lot se précipite en avant sous les cravaches. Au bout de cinquante mètres, trois chevaux restent aux prises, nettement détachés du peloton qui s’égrène. La Lupa est dans le groupe, mais le Montone n’y figure pas. Dès lors, les exclamations se succèdent et se croisent ainsi que des froissemens de fleurets, vociférations frénétiques, exhortations, malédictions. Ceux-ci invoquent saint Antoine ; ceux-là, plus nombreux, profèrent d’horribles blasphèmes. Trois franciscains, juchés sur l’autel de la chapelle extérieure, suivent la course anxieusement ; aux fenêtres, les corps sont penchés ; on est debout sur les estrades ; la coquille tout entière frémit. Trois chevaux abordent presque de front le tournant de S. Martino, un Tattenham Corner exagéré ; l’un se dérobe, la Lupa en profite ; très bien montée, elle serre de près la borne d’angle et prend la tête ; elle ne la perdra plus. La casaque blanche et noire concentre sur elle tous les regards. Le jockey peut se rire des cabales et braver le nerbo désormais inoffensif dans la main de ses adversaires. Il se

  1. Littéralement à la corde.