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est dans le service individuel que nous avons reçu d’eux antérieurement même à notre consentement. » Trois « quasi-contrats » emboîtés l’un dans l’autre, celui des particuliers entre eux, celui des gouvernés avec les gouvernails, celui des vivans avec la génération à venir, « constituent toute la règle de la vie sociale. »

Quoi que nous ayons pu dire nous-même du quasi-contrat et de « l’organisme contractuel » auquel se ramène la société, nous sommes obligé de réagir contre une. interprétation aussi abusivement individualiste de ce principe. Nous demanderons d’abord à MM. Bourgeois et Andler comment les vivans peuvent être tenus envers la génération à venir, disons envers les individus de la génération à venir, qui n’existent pas encore et que nous ne connaîtrons jamais ? Nous ne sommes obligés, selon vous, qu’envers des individus et dans la mesure de leur « service individuel, » reçu d’eux antérieurement même à notre consentement ; eh bien ! les individus à venir ne nous rendent, avec ou sans notre consentement, aucun service ; c’est au contraire nous qui leur en rendons. Pourquoi donc et comment sommes-nous tenus de leur en rendre ? — C’est, direz-vous, pour acquitter au profit de nos successeurs notre dette envers nos devanciers. — Mais pourquoi cette substitution d’individus, où disparaît précisément toute considération de l’individualité ? De fait, au lieu de services vraiment individuels, vous invoquez des services collectifs, et vous les supposez réversibles en vertu de je ne sais quelle solidarité qui n’est plus individuelle. « Par un acte de bon vouloir, dit M. Andler, admettons que nous sommes obligés aux générations futures de tout ce que nous devons au passé. » — Je ne demande pas mieux que de faire l’acte de « bon vouloir, » pourvu qu’on m’en donne de bonnes raisons. Or, si vous commencez par dire que tout service est individuel, toute dette individuelle, tout devoir individuel, reposant sur un quasi-contrat entre individus, la meilleure volonté du monde ne pourra plus rattacher rationnellement les générations à venir aux individus vivans ou morts. Votre point de vue exclusivement individualiste a donc besoin d’être dépassé. Pour notre part, en traitant cette question, nous avons toujours parlé non pas seulement d’un contrat plus ou moins arbitraire, mais d’un « organisme contractuel, » et, au-dessus même du point de vue organique, comme au-dessus du point de vue contractuel, nous avons toujours élevé le point de vue moral et rationnel.