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publiques, et, loin de reprocher à la loi de 1864 son insuffisance, on serait bien plutôt tenté d’accuser sa témérité. Cependant le reproche, serait injuste : l’accroissement inquiétant des grèves a des causes multiples, non imputables à notre loi.

C’est à qui célébrera l’Egalité. Si les hommes sont égaux, disent les ouvriers, pourquoi les jouissances ne seraient-elles pas égales entre eux, et pourquoi ne participerions-nous pas à la vie opulente ou confortable de nos patrons ? Il est certain que, si l’égalité est la loi de la nature[1], il n’y a rien à leur objecter.

La cherté toujours croissante de la vie est aussi une cause des grèves. Cette cherté est le résultat de l’élévation artificielle des prix amenée par le système protecteur. Les protectionnistes ont cru faire merveille en élevant par des droits la valeur rénale de tous les produits, surtout ceux de grande consommation et de première nécessité. Il en est résulté que nulle part la vie du travailleur n’est plus chère qu’en France. Il est donc naturel qu’il réclame, par des grèves, l’augmentation de son salaire ; et quand les patrons, presque tous protégés, leur opposent l’impossibilité d’augmenter leurs prix de revient, les exigences de la concurrence, etc., ils ne se laissent pas convaincre, et répondent : On nous fait payer plus cher notre pain, notre viande, notre café, notre sucre, notre chocolat, le fer de nos outils, les tissus de nos vêtemens : payez-nous plus cher notre travail. Et je ne vois pas encore ce qu’il y a à leur riposter.

Les patrons ne sont pas non plus sans responsabilité dans cet accroissement des grèves. Tous n’ont pas su devancer les réclamations légitimes de leurs ouvriers et ne pas les froisser par des hauteurs et des mépris. Partout où, comme à Anzin et en Belgique, ils ont établi des conversations régulières avec des délégués régulièrement nommés, la confiance et les bons rapports se sont beaucoup plus rarement altérés. La grève déclarée, les patrons n’ont pas su toujours adopter une conduite ferme et cohérente. Ils commencent par résister ; la querelle s’envenime ; la rue se trouble et prend parti ; le gouvernement intervient, se mêlant de ce qui ne le regarde pas, sollicite, presse, uniquement préoccupé de sortir d’un embarras passager ; alors les patrons capitulent : leur capitulation, c’est l’acceptation d’un arbitrage. Les ouvriers encouragés recommencent de plus belle, dans la

  1. Déclaration de 1793.