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problème était insoluble. On avait promis, aux élections dernières, de donner une retraite à tous les ouvriers des villes et des campagnes, — des campagnes, qui ne voit jusqu’où cela peut conduire ? — dès qu’ils seraient parvenus à un certain âge, ou s’ils devenaient infirmes avant de l’avoir atteint. Au fond de tous ces projets, on trouve une bonne pensée : il y a quelque chose à faire pour soulager les misères de l’âge et de la maladie. Déjà un grand nombre de sociétés de secours mutuels existent : il suffirait peut-être d’en fortifier le principe, d’en développer le champ d’action, d’en ouvrir plus largement l’accès, d’en apprendre le chemin aux ouvriers et aux paysans. Mais ce n’est pas ce qu’on a fait. Comme principe, on a posé tout d’abord celui de l’obligation. Les ouvriers ne seront pas libres, ils seront obligés de prélever sur leurs maigres salaires une somme relativement considérable et de la verser à la Caisse des retraites. Les patrons verseront une somme égale, et l’État devra, à son tour, accorder une garantie d’intérêts à l’argent versé. Mais sait-on à quel chiffre s’élèvera la somme totale que la Caisse des retraites absorbera annuellement ? Non, on ne le sait pas. Tous les calculs qu’on a faits à ce sujet restent hypothétiques, ou, pour mieux dire, fantaisistes. On a eu beau nommer rapporteur de la commission M. Guyesse, qui est un calculateur distingué, la pleine lumière ne s’est pas faite. Les écarts entre les évaluations restent énormes. La seule chose sûre est que l’impôt, — nous ne pouvons pas nous servir d’un autre mot, puisque le prélèvement sur les salaires ou sur les profits de la petite industrie doit être obligatoire, — sera de plusieurs centaines de millions.

Et il portera sur nos compatriotes les moins fortunés, dont la grande majorité ne paye aujourd’hui aucun impôt direct et ne connaît pas les feuilles du percepteur. On leur demandera de tirer tous les jours quelques sous de leur misérable poche et de les abandonner à la Caisse des retraites, moyennant quoi ceux d’entre eux qui auront la chance, malheureusement exceptionnelle, d’arriver à l’âge de soixante-cinq ans, toucheront une légère pension. C’est toute une révolution à introduire dans les mœurs de la classe ouvrière. Il est douteux qu’on y parvienne. Mais, en ce cas, quelle sera, dans la charge commune, la participation de l’État ? Quel poids nouveau fera-t-on supporter à nos budgets qui, en ce moment même, commencent à fléchir ? M. le ministre des Finances a dû faire à cet égard des réserves, exprimer des doutes, laisser voir des inquiétudes dont la Chambre a été frappée. Tout d’un coup, un sentiment inavoué, mais très vif, s’est emparé d’elle, à savoir que la loi était insuffisamment étudiée et ne pouvait