dépassant tous, les dominant tous, celui qui est le plus sûr de rester : Auguste Comte ; et le nom de l’homme par qui devait se faire la transition, l’heure venue, entre la pensée et l’action, entre les idées et les lois : Louis Blanc. Pour l’instant, ce n’est encore qu’un grand flux de pensée, une grande éruption d’idées. Sur tous ces hommes et toutes ces œuvres il serait amusant, et probablement instructif, de coller des étiquettes, de les classer par genres et espèces : économistes orthodoxes, économistes dissidens, économistes chrétiens, doctrinaires et libéraux, démocrates, socialistes autoritaires, collectivistes, communistes, individualistes raisonnables et individualistes paradoxaux ; etc. ; et sûrement il serait instructif, sinon toujours amusant, d’analyser toutes ces idées pour en établir la nature, la qualité, la formation et la composition. Mais l’analyse des idées, c’est de l’histoire ou de la philosophie : la politique ne s’occupe que de la synthèse des forces. Même pour les idées-forces, — nous l’avons déjà dit, mais on ne saurait trop le redire, — l’idée ne relève de la politique que du moment où elle est devenue une force ; et, si deux idées-forces tombent en contradiction ou entrent en conflit, ce n’est ni la plus intéressante, ni même la plus juste, que la politique doit suivre : c’est la plus forte. Voici donc toutes ensemble, telles qu’alors elles bouillonnent et coulent, les idées-forces de ces dix années, en ce qui touche le Travail, le Nombre et l’Etat.
— La liberté économique illimitée est une erreur ou une duperie. Dans le domaine économique, l’Etat a certainement un droit et un devoir[1]. En ce siècle, si fier de lui-même « la seule faim est la loi souveraine de la conduite morale, rationnelle et industrielle de l’immense majorité. » Nulle entente, partout des égoïsmes jaloux les uns des autres. Une concurrence effrénée entraîne la baisse de la main-d’œuvre et la misère des ouvriers. Le régime du travail découvre « des plaies profondes et hideuses. » Le progrès se fait, « par les masses, humanité, nation, non par les individus. » Mais les masses seules ne le feraient pas ; il leur faut une direction, qui ne peut être que celle de l’Etat. Comme
- ↑ Sismondi, Nouveaux principes d’économie politique, ou de la Richesse dans ses rapports avec la population. Cf. Etudes sur les sciences sociales. Malgré la pente démocratique de ses opinions, et quoiqu’on ait voulu faire de lui un ancêtre, Sismondi n’aime pas le suffrage universel et repousse avec horreur « la toute-puissance des majorités. » Il serait piquant, à ce propos, de relever, dans la finesse des aperçus de Sismondi, et dans un certain goût qu’il a pour les « combinaisons, » des traces bien marquées d’origine italienne.