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que c’est que la Révolution, il répondra, avec un très grand bon sens, selon moi, qu’il n’en sait rien du tout. La Révolution est une époque ; ce n’est pas une personne indivisible. Si on la considérait ainsi, on trouverait en elle « une espèce de puissance incohérente, capricieuse, violente et sanguinaire, » tantôt plus oppressive et liberticide que le plus affreux tyran de tragédie, tantôt plus sage, plus généreuse et plus magnanime que les sept sages de la Grèce ; et donc, la tenir pour indivisible, c’est précisément tenir à ce qu’elle soit absurde. — Mais, à travers cette époque, il y a à remarquer l’évolution d’une idée, de l’idée démocratique, et c’est cela qu’il faut isoler d’abord pour le bien entendre ; considérer ensuite au milieu des faits discordans qui l’entourent, pour voir comment il en est qui le favorisent, d’autres qui lui nuisent, et comment il s’en tire ; isoler de nouveau enfin, pour voir comment, en définitive, il s’en est tiré et quelle figure il fait après ces épreuves.

Et voilà un grand avantage de cette méthode, qui est immédiatement balancé par un assez grand inconvénient. Quand on fait l’histoire de la Révolution française, il est assez naturel de s’arrêter soit au 9 novembre 1799, soit au 18 mai 1804 ; mais, quand on fait l’histoire de l’idée démocratique, il n’y a absolument aucune raison de s’arrêter ni en 1799, ni en 1804, ni même en 1901 ; — ou, du moins, à s’arrêter à cette dernière date, il n’y aurait qu’un prétexte. Il est si évident que l’idée démocratique n’avait nullement achevé son évolution en 1804, qu’on s’étonne que l’historien nous quitte là plutôt qu’ailleurs ; et, à vrai dire, son sujet, ainsi conçu, n’a plus de bornes, que celles, et encore si l’on veut, où exposer devient prévoir. Et par conséquent le livre de M. Aulard n’est qu’un « fragment de l’histoire de l’idée démocratique en France. » Cela ne laisse pas d’être sensible et désagréable quand on finit de le lire.

A la vérité, le fragment est d’importance. Prenons-le pour ce qu’il est.


Rien n’est plus net, — comme aussi il n’y a rien de plus net que l’esprit de M. Aulard ; et c’est pour cela qu’on se rencontre de plain-pied avec lui sur les idées synthétiques des événemens, alors même qu’on est très éloigné de lui comme tendances ; —