d’abord des droits de l’homme, puis du droit du peuple, ont bien entendu donner ce dernier article comme la sanction du droit du peuple, mais en laissant planer une certaine obscurité, de telle sorte que ce qui était une affirmation véhémente de la souveraineté populaire pût paraître une affirmation solennelle des droits de l’homme ; et c’est ce que j’appelais, supposant qu’ils n’ont pas suffisamment analysé eux-mêmes leur idée, une supercherie inconsciente.
Quoiqu’il en puisse être, ces déclarations (et surtout la seconde) contiennent, et bien entendu sans la résoudre, l’antinomie entre les droits de l’individu et la souveraineté nationale ; et comme, même entre les droits de l’homme, il y a eu un conflit dans lequel l’égalité a fini par vaincre, ronger, et dévorer les droits qui lui étaient étrangers et opposés, liberté, sûreté, propriété, de même le dogme de la souveraineté populaire a fini par l’emporter sur les droits de l’individu, sur ces mêmes droits de liberté, de sûreté et de propriété, ne respectant que le droit d’égalité, qui n’est pas un droit individuel, qui n’est qu’une institution sociale, et avec lequel nous avons vu qu’elle pouvait s’accorder et de quelle manière.
Le dogme de la souveraineté du peuple a développé ses conséquences parallèlement au dogme de l’égalité développant les siennes, et ses conséquences n’ont pas été plus favorables aux droits de l’homme que celles du dogme de l’égalité. D’abord ce dogme habitue les esprits à cette idée que, là où il y a volonté du peuple et non volonté d’un homme, il y a liberté, et que les actes les plus oppresseurs sont des manifestations de liberté quand ils viennent de la foule. C’est une chose assez contes table. C’est une confusion entre la liberté du peuple et la liberté de l’homme, entre peuple libre et homme libre. Un peuple est libre, comme peuple, quand les lois qui le gouvernent viennent de lui ; c’est absolument vrai. Mais, de ce que le peuple est libre, il ne s’ensuit nullement que les citoyens le soient, et le peuple peut librement voter des lois épouvantablement oppressives pour chaque citoyen. La liberté, considérée comme droit de l’homme, selon la Déclaration de 1789, « consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » Un peuple peut, très librement, m’ôter cette liberté radicalement, jusqu’à m’interdire d’élever mon fils selon la méthode de l’Émile, et il est libre, et moi, je ne le suis pas ; et il exerce sa liberté, et il m’empêche