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d’un parti, la haine que s’attiraient les jésuites, l’envie de se distinguer et l’inquiétude d’esprit formèrent une secte. » Et une secte qui, après tout, ressemblait furieusement à celle des protestans. Voltaire : « Le sentiment d’Arnauld et des jansénistes semblait trop d’accord avec le pur calvinisme. » Louis XIV défendait « l’unité morale. » Il socialisait les esprits. Les révolutionnaires ont fait de même.

Au fond, eux et leurs successeurs sont exactement, de l’avis de Bossuet. Pour Bossuet, « l’hérétique est celui qui a une opinion particulière. » Pour les révolutionnaires, l’homme qui a une opinion particulière est un hérétique social qui conspire contre l’unité et l’indivisibilité de l’Etat. Il doit être comprimé, réprimé ou supprimé, selon ce que permettent ou persuadent les circonstances. C’est là, en dernière analyse, ce que contient le dogme de la souveraineté populaire, et c’est, au dernier terme, où il tend.

Enfin le dogme de la souveraineté populaire a eu une dernière conséquence qui intéresse les mœurs. Il a installé la guerre civile en permanence. Je reconnais tout de suite qu’il a pu être inventé pour la supprimer. Mais, en la supprimant, il l’a installée sous une autre forme. Quand personne ne commande, il faut, comme disait Girardin, « se compter ou se battre. » En barbarie on se bat, en civilisation on se compte. Rien de plus juste. Seulement se compter continuellement est une façon de se battre. Voici une nation. Elle est divisée en quatre ou cinq partis. La loi, dans ce pays, c’est l’opinion de la majorité. Tous ces partis n’auront qu’un but : conquérir la majorité. Ils sont convoqués tous les trois ou quatre ans pour se compter. Ils n’auront qu’une préoccupation : luttes d’influences, de pressions, de combinaison, de tous moyens, pour arriver à être les plus nombreux. Ils auront surtout la fureur de conquérir le pouvoir, de s’installer au gouvernement, le gouvernement disposant de moyens exceptionnels pour amener les individus à entrer dans le parti qu’il représente et qu’il préside. C’est la lutte constante, permanente ; c’est une véritable guerre civile perpétuelle. Qu’elle conjure la guerre civile sanglante, il est possible, encore que quelquefois elle y conduise ; mais elle en est une, sinon sanglante, du moins très âpre et qui change complètement le caractère d’une nation. Stendhal a très bien vu cela : « Le Français qui aimait tant à parler et à dire ses affaires devient insociable. La peur de