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En un seul point, qui n’est ni de l’ordre des idées, ni même de l’ordre des sentimens, ils diffèrent. Les Montagnards s’appuient sur Paris et le flattent. Les Girondins ont de l’aversion pour Paris et ne le cachent point assez. Le secret est là de la victoire des uns sur les autres. Etant donnés les temps et circonstances, pour un œil perspicace, elle était indiquée. Telle est l’opinion de M. Aulard, et c’est tout à fait la mienne. Les Girondins sont des « Versaillais. » Il n’y a pas autre chose.

Tout au plus ajouterai-je, et même avec une certaine hésitation, qu’il me semble que les Girondins ont été plus hommes de principes et les Montagnards plus hommes de circonstances et avisés à les flairer et à y conformer leurs démarches. Ils sont essentiellement « opportunistes, » dans le sens précis du mot. Ils sont empiriques. Pour Danton, la chose est certaine ; M. Aulard lui applique lui-même quelque part la dénomination d’opportuniste ; mais elle ne l’est pas moins pour Carnot, pour Cambon, pour Barrère. Robespierre, tantôt demi-socialiste, tantôt anti-agrairien, précisément selon qu’il s’agit de lutter, d’une façon ou d’une autre, de popularité avec la Gironde, est un opportuniste très délié. Je ne vois que Saint-Just qui fût un systématique intransigeant. Mais Saint-Just ne fut jamais qu’un lieutenant. Les Girondins furent plus rigides et plus cassans. C’étaient des hommes à théories, des hommes à programme, beaucoup plus que les Montagnards. Thiers a dit, bien spirituellement : « Les hommes à principes sont dispensés de réussir. » Il faut convenir que ceux-ci ne réussirent pas.

J’aimerais à suivre M. Aulard jusqu’en ses portraits d’hommes, qui souvent sont remarquables, d’une netteté de dessin, dont, ce qui me plaît singulièrement, le pittoresque est diligemment banni. Car, encore une fois, tout historien philosophe qu’il est et qu’il veut être, M. Aulard attache toute l’importance qu’il faut aux personnages et sait qu’il n’est pas douteux que, s’ils dépendent des événemens, les événemens aussi, en une certaine mesure, dépendent d’eux. Scribe a fait du tort à Voltaire et Voltaire a fait du tort à Pascal dans cette question des petites causes produisant de grands effets. Mais, à l’inverse, on devrait réfléchira ceci que Scribe est couvert de l’autorité de Voltaire et Voltaire de l’autorité de Pascal, et qu’à eux trois, ce sont trois grands esprits, en totalisant les parts. Il est bien certain que le calcul de Cromwell et le nez de Cléopâtre auront toujours leur influence