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Vies des Saints, la Pierre de la Foi, des romans populaires et des épisodes de l’histoire de Russie. Smoury communiqua ses goûts à son gâte-sauces : une ardente curiosité pour la lettre imprimée s’éveilla chez celui-ci. Son imagination partit à tire d’ailes dans l’univers enchanté qui sortait de la vieille malle : un monde nouveau se révélait, qui devait être le vrai, puisqu’il était le désirable et le beau, monde où les saints faisaient des miracles, où les héros historiques et les personnages romanesques accomplissaient de fabuleux exploits.

Romantique et lyrique de par l’initiation du cuisinier, le futur écrivain était instruit au réalisme par l’enseignement de la vie. Elle se chargeait de lui montrer durement que l’action n’est pas la sœur du rêve. L’originalité de Gorky s’est forgée dans ces contrastes violens, douloureux, entre les aspirations développées par ses premières lectures et les conditions d’existence qui lui étaient faites. Le sort l’avait enrôlé de bonne heure, et pour longtemps, dans l’armée des gueux, des va-nu-pieds, des réfractaires, de tous ces déchets sociaux dont il devait être le chantre et le porte-drapeau. Tout jeune, il est en contact avec la lie du peuple russe, il ne connaît d’autres guides et d’autres modèles que les compagnons de la belle étoile : avec eux, il tâte la misère par tous les bouts, il apprend les métiers de raccroc qui donnent rarement le toit et l’habit, quelquefois, pas toujours, un morceau de pain de seigle et un verre d’eau-de-vie. Sa destinée paraît alors fixée à jamais ; il sera l’un de ces rouleurs de la Volga, légers de scrupules, bons à tout faire pour quelques kopeks, piliers de cabaret et gibiers de prison.

Mais, tandis que son corps cherche la pitance quotidienne, avec les ruses rapprises de l’animal sauvage, son esprit éveillé par la lecture a faim de connaissances. À seize ans, il revient à Kazan, ville d’université ; « un désir, furieux, » a-t-il dit, le poussait à pénétrer plus avant dans le monde des idées, entrevu à la dérobée. Il s’imaginait naïvement qu’il suffit de demander la science, et qu’on la distribue aux affamés. Renseigné promptement, et voyant que « cela n’était point dans l’ordre établi, » il entra en qualité de second aide chez un boulanger : plus exactement un « craquelinier, » fabricant de ces anneaux de pâte dure dont le menu peuple est très friand.

Les souvenirs qu’il a gardés de cette époque ont pris corps dans une de ses meilleures nouvelles, Konovalof. Le caractère