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ou inhumain, — celui qu’on pourrait nommer le jeune barbare.

C’est la négation de l’idéal péniblement élaboré par les moralistes de l’âge précédent. Pauvre XIXe siècle ! Il a cru travailler au perfectionnement de la civilisation ; il s’imaginait qu’il la laisserait en mourant plus rationnelle, plus douce, plus protectrice des faibles. Mais l’enseignement de ses doctrinaires a pâli auprès des leçons pratiques de ses hommes d’action. Les enfans qui viennent lisent très peu et très mal les écrits humanitaires ; ils regardent les images hors texte, ces figures conseillères d’audace et d’ambition : les grands révolutionnaires, les remueurs de nations, les durs pétrisseurs de la pâte humaine ; un Napoléon, un Bismarck. Ces prédicateurs du droit de la force continuent à séduire les esprits ; la suggestion de leurs exemples contre-balance le pouvoir persuasif de tous les idéologues réunis. Le premier, plus théâtral, avait contribué pour une bonne part à la formation des anciens romantiques ; ils brûlaient tous du désir de se hausser jusqu’à sa taille ; d’où leur tour d’imagination pompeux et outrancier. Le second, plus réaliste, a suscité des imitateurs déclarés ou honteux parmi les hommes qui mènent les affaires du monde ; leur succès influence l’imaginatif et le philosophe ; ces modèles dans l’art de réussir deviennent indirectement les vrais maîtres de la pensée et du style.

Les néo-romantiques n’ont ni les illusions ni la naïveté de leurs aînés Ceux-là se pavaient de mots et croyaient voler très haut, alors qu’ils assouvissaient les convoitises des sens, les fantaisies de l’orgueil révolté. Leurs successeurs, nourris de science, ferrés sur l’analyse, savent où ils vont et pourquoi ils y vont. Autoritaires ou révolutionnaires, et le plus souvent les deux ensemble, ils commentent froidement le paucis humanum vivit genus du vieux poète latin. Ils nous disent que les faibles sont une argile négligeable, créée pour servir aux beaux travaux des forts ; et ils avancent des argumens plausibles, dans le tragique conflit qui divise les intelligences. Droit et morale, répètent les philosophes retardataires, altruisme et solidarité, intérêts de la civilisation… — Intérêt de la race, répliquent les nouveaux théoriciens. Ne voyez-vous pas que les races s’étiolent, que la volonté languit, et toutes les puissances de la vie avec elle ? Le remède est dans l’action ; or, l’action vigoureuse est presque toujours impulsive, immorale. Ne savez-vous pas que toutes les grandes choses ont été faites par de grands individus, et qu’il ne