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situation avait été jusque-là indécise, elle deviendrait équivoque : il y a des gens qui le préfèrent.

Sur ces entrefaites s’est produite d’une manière très bruyante l’intervention inopinée de lord Rosebery. Depuis qu’il a quitté la direction du parti libéral, lord Rosebery se tenait silencieux sous sa tente. Il paraissait se désintéresser de la politique. Un esprit comme le sien trouvait facilement d’autres occupations : on sait que sa retraite nous a valu un beau livre sur la Dernière phase de Napoléon, c’est-à-dire sur la captivité de Sainte-Hélène, œuvre d’une impartialité doublement méritoire sous la plume d’un Anglais. Mais lord Rosebery n’a peut-être pas montré la même impartialité en jugeant la situation actuelle. Nous laissons de côté, sauf à y revenir dans un moment, ce qu’il dit de lui-même et de son intention de ne pas rentrer « volontairement » aux affaires. En attendant, il s’amuse à jeter des pierres dans le jardin d’autrui. Il affirme qu’il ne s’est retiré autrefois que parce qu’il avait espéré, en faisant abstraction de sa personne, rendre l’union du parti plus facile. Il regarde aujourd’hui, et il constate que l’union est plus éloignée que jamais. Elle aurait pourtant été bien nécessaire au moment de la guerre du Transvaal. Il est inadmissible qu’un grand parti n’ait pas eu une opinion sur un objet aussi important. C’est abdiquer que de n’avoir rien à dire en présence d’un pareil événement. Quant à lui, lord Rosebery, il sait bien ce qu’il aurait dit s’il eût été chargé de parler au nom des libéraux. Lorsqu’il y a dans un pays une opinion aussi générale, aussi absolue, aussi irrésistible que celle qui s’est produite en faveur de la guerre, on se perd en ne la suivant pas. Fox a commis une erreur de ce genre au commencement du siècle, et la conséquence en a été pour le parti libéral qu’il a été exclu du pouvoir pendant quarante ans. Une faute analogue amènera immanquablement le même résultat. Au surplus, toutes les opinions peuvent être soutenues, mais il faut en soutenir une. Si la guerre est coupable dans son origine et criminelle dans ses procédés, c’est un devoir de le déclarer très haut ; si, au contraire, elle a été juste et conduite conformément aux lois de l’humanité, c’est encore un devoir de l’affirmer. Pour n’avoir pas su se décider entre les deux termes de cette alternative, le parti libéral s’est fait le plus grand tort. Il le sent bien lui-même ; il souffre de ses divisions ; mais il se console en disant que, la guerre une fois finie, l’union se rétablira aussitôt parmi ses membres. Que d’autres se bercent de ce vain et puéril espoir : lord Rosebery ne le partage pas. Il estime que les causes de division sont très profondes et très anciennes. Les phénomènes