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à dégager de la masse des documens les scènes ou les états d’esprit qui l’ont frappée, et à évoquer ainsi l’une au moins des physionomies de la période la plus confuse de notre histoire moderne. On ne s’attend pas que le point de vue de Mademoiselle ait été le meilleur ; du moins n’est-il pas terre à terre. La Fronde a été son âge héroïque. Elle y entra par des raisons de roman, pour conquérir un mari à coups de canon, pour voir du neuf et de l’extraordinaire ; elle joua son rôle avec éclat, et s’étonna le reste de sa vie d’avoir pu commettre tant de « sottises. » C’est à faire comprendre l’état d’esprit qui existait alors en France, et qui permit ces « sottises » à la Grande Mademoiselle et à tant d’autres, que tendront les pages qu’on va lire.


I

Il va de soi que Mademoiselle n’avait pas vu venir la révolution, en quoi elle n’avait pas été plus aveugle que le reste de la cour. Lors des barricades de 1648, il y avait quatre ans que Paris grondait et s’agitait, sans que la régente, ni personne autour d’elle, eût l’idée de s’inquiéter de ce qui se passait dans les esprits. Dès le 1er juillet 1644, le peuple avait envahi le Palais de justice en protestant bruyamment contre un nouvel impôt, et le Parlement s’était chargé de porter ses doléances à la reine. Anne d’Autriche avait refusé de céder. La ville avait pris aussitôt sa physionomie de veille d’émeute : conciliabules en plein air, gens affairés sans savoir pourquoi, curieux le nez au vent, boutiquiers sur le pas de leur porte, attente inquiète de quelque chose d’inconnu. Le troisième jour, la soupe au lait s’envola. Des bandes armées de gourdins descendirent des faubourgs et « donnèrent, rapporte un témoin[1], assez de frayeur dans la ville, en laquelle telles émotions étaient inconnues. » Au bout de quelques heures, les bandes se dissipèrent d’elles-mêmes et l’émeute s’évanouit ; mais le premier pas était fait ; le peuple s’était familiarisé avec l’idée de troubler la rue.

A partir de ce jour, les signes avant-coureurs de l’orage se multiplièrent. Le Parlement soutenait ouvertement le peuple. Il avait des orateurs violens et magnifiques, qui éclataient en discours terribles sur la misère effroyable, les injustices et

  1. Omer Talon, Mémoires.