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fut ce Parisien-là, le munie que nous connaissons, qui fit les barricades de 1648. Les fenêtres de Broussel donnaient sur la rivière. La batellerie de la Seine, instruite la première de son arrestation, s’élança dans les rues avec de grands cris. Les Halles se joignirent à la batellerie, le « bon bourgeois » suivit le peuple, les boutiques se fermèrent, les chaînes se tendirent, les rues se hérissèrent d’armes vieillottes qui donnaient à l’émeute un faux air de cortège historique, et Mademoiselle fit atteler ; elle voulait voir cela de près.

Elle prit par les quais, traversa le Pont-Neuf, et fut témoin d’un spectacle qui influa sur la suite de sa vie. Les chaînes tombaient devant elle pour se relever derrière son carrosse. La Grande Mademoiselle se rendit au Luxembourg, et de là au Palais-Royal, en princesse de légende devant qui s’évanouissent les obstacles et les monstres. La popularité n’est jamais chose raisonnée à Paris ; les gens du peuple adoraient cette princesse autoritaire, pour qui leurs pareils n’étaient que des « coquins, » bons à bâtonner et à pendre, et ils en furent récompensés, comme on l’est très souvent, en ce monde, des sentimens désintéressés. Au retour de sa promenade, Mademoiselle était prisonnière de sa popularité.

La cour avait commencé par ne pas prendre l’insurrection au sérieux. Il fallut y venir, et Mademoiselle trouva le Palais-Royal « en grande rumeur. » Elle but des yeux les visages soucieux de ceux qui l’avaient offensée, rentra chez elle toute contente, et s’amusa comme une enfant à regarder les bivouacs établis sous ses fenêtres. La nuit fut cependant paisible. — « Le lendemain, je fus éveillée par le tambour, qui battait aux champs de bonne heure, pour aller prendre la Tour de Nesle[1], que quelques coquins avaient prise. Je me jetai hors du lit et courus à la fenêtre. » Elle vit bientôt revenir des soldats blessés, qui lui causèrent « grande pitié et frayeur. » Dans la rue des Tuileries, les passans avaient tous des épées ; ils les portaient si gauchement, que Mademoiselle s’en amusa longtemps. Elle se trouvait bloquée dans son palais ; toutes les rues de la ville étaient barricadées avec des tonneaux remplis de terre ou de fumier et reliés par des chaînes. Paris n’avait pas mis trois heures à exécuter ce bel ouvrage, plus redoutable encore à titre de

  1. La Tour de Nesle était au bord de la Seine, proche l’emplacement actuel de l’Institut.