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ressemblait moins au Condé des batailles que le Condé de la vie civile. Le premier était un inspiré, qui paraissait devant son armée en dieu de la guerre, impétueux et terrible, jamais troublé : « Alors son esprit se développait, et il était capable de donner cent ordres à cent personnes différentes[1]. » Au Parlement ou avec les chefs de partis, M. le Prince, « le héros, » n’était plus qu’un nerveux, qui n’avait ni sang-froid, ni esprit de suite, éclatait de rire quand il y avait de quoi pleurer, se fâchait quand il aurait fallu rire, n’avait de fixe en lui qu’un immense orgueil et « l’immodération invincible[2] » par laquelle il fut précipité dans l’abîme. Personne n’avait autant d’esprit, et personne n’était aussi bizarre dans ses goûts et dans sa conduite. Il adorait les lettres et sanglotait à Cinna, mais le Polexandre de Gomberville lui paraissait admirable. Il s’évanouissait en disant adieu à Mlle du Vigean, et l’oubliait « tout d’un coup[3] » quelques jours après. Bref, un grand génie avec une fêlure, un être compliqué, à contrastes et à contradictions, mais singulièrement intéressant. Au physique, un prince efflanqué et mal peigné, poussiéreux, avec un visage d’oiseau de proie et un regard d’aigle, difficile à supporter.

L’été s’achevait à peine, qu’il avait fait signer au cardinal (2 octobre) la promesse de ne rien faire sans sa permission. La partie était belle pour la maison d’Orléans ; elle pouvait vendre très cher à la couronne son appui contre l’autre branche cadette. Madame et Mademoiselle, si rarement d’accord, poussaient Monsieur à ne pas laisser échapper l’occasion. On répandait à Paris une chanson où la France le suppliait de la défendre contre Condé. Gaston répondait à la France :


… Je veux dormir.
Je naquis en dormant. J’y veux passer ma vie.
Jamais de m’éveiller il ne me prit envie.
Toi, ma femme et ma fille, y perdez vos efforts,
Je dors.


Monsieur « tremblait de peur », écrit Retz. Il y avait des momens où il était impossible de le faire aller au Parlement, même escorté de Condé : « L’on appelait cela « les accès de la

  1. Segraisiana.
  2. Mémoires de La Rochefoucauld.
  3. Mémoires de Mademoiselle.