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en d’autres occurrences : à la suite, par exemple, d’une commotion physique ou d’un grand choc moral.

Tous, au surplus, ne sont pas le fait de la douleur sentie. Plusieurs d’entre eux ont une autre origine : ils résultent d’un automatisme inconscient.

Qu’à l’exemple de Longet et de Vulpian, on pratique chez un rat l’ablation des hémisphères cérébraux, — siège des associations mentales d’où dérive la conscience, — et la faculté de percevoir la douleur lui sera enlevée du même coup. Ce qui n’empêchera pas son système nerveux, ses muscles, son cœur d’être influencés par de fortes excitations. Pincez vivement sa patte : il la retirera aussitôt ; infligez-lui la brûlure d’un fer rouge : le tronc tout entier sera secoué d’un spasme irrépressible. Il n’est même pas besoin de violenter l’animal pour développer chez lui de semblables extériorisations : la stridence d’un coup de sifflet fera brusquement tressauter tous ses membres.

La grenouille se prête mieux encore à ce genre d’expériences. Si, après l’avoir soumise à la décapitation, on asperge sa peau de quelques gouttes d’acide sulfurique concentré, on verra, non sans surprise, ce corps sans tête exécuter incontinent des mouvemens de défense et de fuite, mouvemens auxquels la volonté réfléchie reste évidemment étrangère.

Lorsqu’on saisit un ver de terre entre les doigts, mieux encore quand le pêcheur essaie de l’accrocher à la pointe de son hameçon, le corps de la pauvre bête se tortille désespérément, s’allonge, se rétracte dans tous les sens. Tant et si bien que souvent il réussit à se dégager. Dans ces convulsions d’aspect désordonné se dessine en effet, si vous les observez de près, une orientation formelle : les curieuses manœuvres auxquelles se livre le malheureux prisonnier sont en réalité celles qui doivent le plus activement favoriser son évasion.

Qu’on n’aille point se figurer pourtant que tous ces mouvemens soient savamment réglés par une volonté consciente. Ne croyez même pas que ces contorsions éperdues trahissent une vive souffrance. Car, si vous divisez l’animal en plusieurs tronçons, chacun d’eux vous offrira ou peu s’en faut le même spectacle ; et quand, à l’imitation de Neumann, on irrite un segment du corps du lombric dépourvu de tout ganglion nerveux, ce segment ne restera pas immobile : il se contractera tout aussi énergiquement que les autres.