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Descendons l’échelle de quelques degrés, et tous les signes extérieurs vont aller en s’atténuant. C’est ainsi que le chien, le lapin, le cobaye, tous les souffre-douleurs du laboratoire, ne jouissent, — est-ce bien le mot ? — que d’une sensibilité limitée. Pour une raison ou pour l’autre, il n’est pas toujours possible de pratiquer l’anesthésie ; et, malgré cela, il arrive que l’animal en expérience ne pousse pas un cri, pas un gémissement, qu’il ne tente aucun effort pour échapper à ses liens, qu’il n’a pas au cœur une pulsation de plus.

Lorsqu’en fuyant, le lézard des murailles laisse entre nos doigts une partie de son appendice caudal, cette amputation volontaire n’enlève rien à la prestesse de ses mouvemens : on dirait que la brusque rupture de ses tendons et de ses nerfs ne lui cause aucun déplaisir. En vue de se soustraire à un péril réel ou chimérique, le crabe ne se résout-il pas sans l’ombre d’une hésitation à l’abandon d’une de ses pinces ? S’imposerait-il de plein gré un semblable sacrifice, si cette « autotomie » équivalait, en tant que douleur, à l’amputation d’un de nos membres ?

Dans une classe plus fruste encore, celle des insectes, les exemples abondent d’une indolorité presque absolue. Redoutant à l’égal du crabe les dangers ou les ennuis de la captivité, la sauterelle se sépare de ses pattes, bien qu’elles lui soient indispensables, sans une apparence de regret. Bien plus, on peut la disséquer toute vivante, lui arracher les entrailles, vider complètement sa carapace sans qu’elle paraisse se ressentir de ces affreuses mutilations. « D’une indifférence que rien n’émeut, dit C. Flammarion, elle semble presque aussi insensible que les plantes dont elle fait sa pâture. »

Un autre insecte, l’abeille, fait preuve d’une passivité non moins stupéfiante, quand, surprise ; par un coup de ciseaux qui lui enlève brusquement l’abdomen, elle continue, comme si de rien n’était, son travail de succion.

Enfin, tout au bas de la série, nulle trace ne persiste de ce qui de près ou de loin l’appelle le sentiment de la souffrance. Les infusoires, les amibes, les globules blancs du sang qui, eux aussi, sont des animalcules, gardent assurément une certaine réactivité ; il se manifeste encore dans ces minuscules organismes des attractions et des répulsions nettement caractérisées. Mais il n’y a là ni plaisir ni douleur. De tous ces actes, de tous ces