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rien perçu. Endormi déjà avant que d’être transporté sur la table d’opération, il se réveille dans son lit, le pansement fait, quelques minutes, une demi-heure, une heure plus tard, stupéfait de n’avoir ressenti aucun mal et croyant rêver quand la voix consolatrice du médecin vient lui apporter l’heureuse nouvelle de sa délivrance.

Mais ce n’est, pas seulement en des occurrences aussi solennelles que le malade a besoin d’être défendu contre la douleur. D’autres moyens, d’une action plus durable et, d’un emploi plus simple, trouveront alors leur indication.

Parmi ces derniers, l’opium, — est-il nécessaire de le nommer ? — a tenu depuis longtemps le premier rang. « Praxim nolium exercere, déclarait expressément le fameux Sydenham, si carerem opio. » — « Sans opium, a dit également Trousseau, la médecine serait impossible. »

Et veuillez remarquer qu’à l’époque où Sydenham s’exprimait ainsi, à l’époque où il dotait la thérapeutique d’une préparation opiacée particulière, — le laudanum, — dont on l’ait, encore de nos jours un usage constant, la morphine, le plus puissant des principes actifs de l’opium, n’était pas inventée. La poudre blanche et amère que nous employons couramment aujourd’hui et qui fait tant parler d’elle ne fut effectivement obtenue à l’état de pureté qu’au début du siècle ; dernier par deux chimistes, Derosne et Sertuerner, dont cette découverte devait à jamais immortaliser les noms.

Songez qu’ensuite il s’est écoulé plus de cinquante années avant que naquît l’heureuse inspiration d’introduire le médicament sous la peau au moyen de la seringue de Pravaz, affectée primitivement à un tout autre usage. Jusqu’alors, la morphine n’avait eu sur l’opium d’autre supériorité que celle d’un dosage plus précis et d’une action moins complexe. Mais, à dater de ce moment, il devint possible, en la faisant passer pour ainsi dire d’emblée dans le sang, de régler mathématiquement son absorption et d’en obtenir au besoin des effets instantanés.

Administrée suivant cette ingénieuse méthode, due à l’initiative de Wood, la morphine, à l’heure qu’il est, constitue pour la médecine interne l’équivalent du chloroforme pour les opérations sanglantes. Presque aussi sûrement que lui, elle prévient ou supprime la souffrance. En elle réside une si souveraine vertu, que l’on comprend difficilement l’hésitation de certains