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Certes, plus qu’à tous les autres, la joie est douce à ceux qui ont souffert. Il faut des nuits et des nuits d’insomnie et de fièvre pour ménager au malade la délicieuse euphorie de la convalescence ; et le souvenir des maux passés éclaire d’une lueur plus vive, quand enfin elle se lève, l’aube des jours meilleurs.

N’est-ce pas aussi aux périodes troublées de l’histoire qu’ont surgi, semés par un vent d’orage, ces sublimes héroïsmes qui, pour germer, semblent avoir besoin d’une glèbe hersée par des dents de fer, arrosée avec du sang et des larmes ?

Combien enfin d’œuvres impérissables, — œuvres de poète et d’artiste, — seraient à tout jamais restées ensevelies dans le néant, si le sentiment d’une souffrance personnelle n’eût été là pour les inspirer ! Rien peut-être n’égale, en fait d’art, la splendeur des marbres de Michel-Ange, dont les poses tourmentées ou la mélancolique grandeur traduisent les agitations d’une âme haute et fière, troublée jusqu’à la fin par les soucis d’une injuste persécution. Où trouver, dans l’ordre littéraire, des accens plus vrais, plus pathétiques que ceux où retentit l’écho d’une souffrance éprouvée ? Echo qui naguère a rempli de son lyrisme douloureux les gémissemens d’Israël prisonnier dans Babylone, les lamentations d’Ovide pleurant son propre exil, et, plus près de nous, les sombres évocations du banni de Ravenne. Répercutées de siècle en siècle, ses vibrations nous émeuvent encore dans les Nuits désenchantées de Musset disant les regrets d’une passion mal éteinte et dans ces poésies touchantes, ces élégies au charme pénétrant « où chante si tristement la plainte d’un cœur brisé. »

En une page superbe, — véritable perle anthologique, — Théophile Gautier a pittoresquement comparé le génie du poète au pin des forêts pyrénéennes qui, le tronc ouvert, par la plaie pratiquée à son flanc,


…….. verse son baume et sa sève qui bout,
Et se tient toujours droit sur le bord de la route
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout.
Le poète est ainsi dans les landes du monde ;
Lorsqu’il est sans blessure, il garde son trésor ;
Il faut qu’il ait au cœur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d’or !