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années devenir notre premier port de la Manche ; et cette éclosion rapide fut entourée de circonstances qui empruntent à la personne de François Ier quelque chose d’improvisé, de chevaleresque et presque de théâtral.

C’était en 1515, immédiatement après la glorieuse journée de Marignan. Beau, jeune, ardent, ivre de gloire et de succès, le roi de France fut avisé que, pendant qu’il guerroyait brillamment en Italie, les côtes septentrionales de son royaume étaient menacées à la fois par les Anglais et les Espagnols. Il repassa les Alpes à la hâte et envoya le grand amiral de France Bonnivet sur les côtes de la Normandie avec la mission de lui désigner sans retard l’emplacement le plus favorable pour la création d’un port dans lequel il pourrait « recueillir, loger et maréer les grands navires, tant du royaulme que aultres des alliés. » Barfleur et Honfleur, les deux ports d’entrée de la Seine, étaient l’un à peu près comblé, l’autre toujours menacé par les envasemens. Bonnivet hésita d’abord entre l’embouchure de la Touques et le petit golfe naturel d’Etretat. Un accident imprévu attira son attention sur le Havre, qui n’était alors qu’un très médiocre hameau de pêcheurs. La longue traînée de galets, que le courant avait déposée au large comme une digue ou un bourrelet, affleurait au-dessus des grandes eaux entre le cap de la Hève et la pointe du Hoc, et protégeait contre les coups de mer les lagunes à demi envasées de l’Heure, dans lesquelles on ne pouvait pénétrer que difficilement en doublant le crochet du Hoc.

Une de ces terribles marées, qui de siècle en siècle bouleversent les côtes de la Manche, vint changer brusquement la situation. Le bourrelet fut surmonté, et la lagune complètement noyée. L’énorme masse d’eau emmagasinée par le flot ne put s’écouler à marée basse par la Seine ; elle creva la digue de retenue contre laquelle elle exerçait une pression formidable, et s’ouvrit de force une issue directe vers la mer. Un chenal nouveau venait de se former, alimentant la cuvette intérieure située en arrière du bourrelet protecteur. Cette transformation subite fut considérée presque comme un prodige, on disait même un avertissement du ciel ; et on ne put moins faire que d’appeler le « Havre-de-Grâce » le chenal navigable qui venait de s’ouvrir ainsi. Ce fut un trait de lumière, une sorte de révélation et, pratiquement, un véritable programme. L’emplacement du nouveau port était trouvé. L’homme n’avait plus qu’à