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Haute-Normandie et qui est aujourd’hui complètement comblé par les galets et les sables, toute la côte est rocheuse sans discontinuité, et dresse fièrement en face de l’Océan la paroi verticale de sa falaise crayeuse éclatante de blancheur, régulièrement striée de bandes horizontales de silex presque noirs. Au-dessus et à la suite de l’énorme muraille, la plaine s’étend à perte de vue, immense plateau qui présente une série de larges ondulations à une altitude variant de 60 à 100 mètres. C’est le pays de Caux, l’un des plus cultivés et des plus plantureux de la France : près de 100 000 hectares d’une seule venue, découpés en un nombre infini de grandes terres labourées ou verdoyantes, présentant une succession de champs de colza et de céréales, de prairies et de pâturages, de petits bois d’arbres fruitiers et surtout de pommiers, le tout d’une merveilleuse fécondité et d’un rendement à peu près certain et presque invariable.

Malgré sa richesse et sa puissance de production, l’aspect général de ce pays fortuné serait d’une fatigante monotonie, si les paysans normands, sans rien sacrifier à leurs intérêts matériels, qui, chez eux, plus encore peut-être que chez tous les campagnards, tiennent une place presque exclusive dans tous les actes de la vie, n’avaient eu l’ingénieuse idée d’entourer leurs vergers et leurs fermes de hautes futaies de hêtres et de chênes très serrés et qui les défendent de tous côtés contre les rafales de vent qui soufflent de la terre ou de la mer. Les « herbages » ainsi protégés par leurs « brise-vents » constituent des milliers d’oasis qui émergent au-dessus du plateau presque horizontal comme de grands îlots de verdure, et lui donnent un peu du relief qui lui manque, quelquefois même un aspect assez pittoresque. De distance en distance, ce grand plateau est d’ailleurs coupé par une série de dépressions, de brèches profondes, au fond desquelles s’écoulent les eaux des rivières et des torrens alimentés par les pluies qui pénètrent la couche végétale supérieure et filtrent peu à peu à travers les pores de la roche crayeuse. Petites ou grandes, vallées ou simples couloirs, on les désigne sous le nom générique de « valleuses » et elles sont toutes à peu près orientées dans le même sens, de l’Est à l’Ouest, divisant ainsi toute la plaine cauchoise en grands parallélogrammes réguliers, subdivisés eux-mêmes par tous les champs de culture, bien nettement délimités en une infinité de rectangles et de carrés. C’est le pays classique de la viande et du fromage,