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Le courant qui descend vers la Seine ne rase la falaise que sur 24 kilomètres seulement de longueur ; mais celui qui remonte vers la baie de Somme a un parcours de près de 120 kilomètres ; et on conçoit très bien que l’entrée des criques et des ports au devant desquels il chemine soit un réceptacle naturel pour les galets qu’il entraîne avec lui. Ces galets s’y arrêtent fatalement ; et, à la suite d’un certain nombre de siècles, tous les débris ainsi charriés doivent combler les issues de toutes les vallées, former, à toutes les embouchures, dans tous les enfoncemens de la côte, dans tous les fiords, dans toutes les valleuses, des dépôts plus ou moins considérables, et donner naissance à des bancs sous-marins qui finissent un jour ou l’autre par émerger au-dessus des eaux. Telle est l’origine ; et la loi de formation des deux plaines d’alluvions situées à chaque extrémité, au Nord et au Sud de la grande falaise normande : l’une, à l’embouchure de la Somme, dans la baie triangulaire qui commence à Cayeux, remonte jusqu’à l’embouchure de la Canche, et dont le nom de « Marquenterre, » — Mar-en-terre, — semble bien rappeler l’ancien état hydraulique ; l’autre, dans l’estuaire de la Seine, où le mélange des alluvions marines et des apports du grand fleuve a peu à peu causé la perte des atterrages de Lillebonne, de Granville et d’Harfleur ; c’est la plaine de l’Heure, qui peut être considérée comme le principal dépôt des débris des falaises qui s’élevaient autrefois sur l’emplacement de la petite rade du Havre et qui ont depuis longtemps disparu dans la mer.

Le rapport entre le développement de la falaise du cap d’Antifer au Havre et du cap d’Antifer à la Somme est de 1 à 5. Comme le phénomène d’érosion est à peu près le même partout et que les circonstances locales sont peu différentes, le volume des matériaux entraînés et celui des dépôts doivent être à peu près dans la même proportion. C’est ce qui a lieu, en effet. La plaine de l’Heure a 1 800 hectares ; les Bas-Champs et la plaine basse de la Somme près de 10 000. Rien ne se perd dans la nature. L’Océan ne démolit que pour reconstruire. Comme un prodigieux excavateur, il sape et creuse le pied de la falaise ; mais les débris pulvérisés de la roche, bien qu’ils soient presque tous entraînés au large et considérés pour nous comme perdus, finiront un jour par reparaître ; et l’éternelle traînée de galets qui roule toujours le long de la côte modifie lentement, sous nos yeux mêmes, l’appareil littoral.