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aux pointes extrêmes de la baie et dans lequel les vaisseaux de ligne auraient pu trouver un abri toujours sûr. En arrière, dans la vallée même, il était d’avis de creuser un bassin à flot de 14 hectares, auquel il aurait été possible de donner ultérieurement toute l’extension nécessaire. L’époque n’était réellement pas favorable à la réalisation de grands travaux qui sont des œuvres de longue haleine, demandant à la fois du temps, de l’argent et la confiance dans l’avenir. Le projet fut abandonné. Le premier Empire essaya de le reprendre ; mais de plus graves préoccupations en détournèrent l’esprit du maître souverain dont la volonté commandait tout en France ; et on se contenta de quelques améliorations locales, en vue de créer un abri temporaire à de très faibles embarcations à l’Ouest de la baie. La mer, cependant, continuait son œuvre, et les galets comblèrent bientôt l’ancien port naturel, jusque-là encore refuge très apprécié pendant les gros temps pour les barques des pêcheurs et même pour les petits caboteurs.

Étretat n’est plus aujourd’hui qu’une plage d’échouage sans le moindre mouvement commercial. Les pêcheurs tirent leurs bateaux sur le plan incliné de la grève avec d’énormes cabestans et les halent à grands renforts de cordages et de bras sur le talus de galets, suivant la mode antique, tout comme on faisait du temps d’Homère et d’Horace, et comme on le voit encore sur presque toutes les plages de la Méditerranée. L’effet est des plus pittoresques ; et c’est, pendant trois mois de l’année, avec la contemplation des magnifiques falaises qui encadrent la baie, la distraction favorite des étrangers. Etretat, si gai, si animé pendant l’été, n’est plus en hiver qu’un hameau de pêcheurs silencieux, à peu près désert et souvent attristé par ces deuils cruels qui frappent à coups répétés les gens de mer. La population active comprend à peine 200 hommes montés sur une cinquantaine de petits bateaux non pontés. Pendant la belle saison, au contraire, c’est une des plus séduisantes villégiatures de la côte normande, un brillant rendez-vous d’artistes, de touristes et de baigneurs.

CHARLES  LENTHERIC.